Intoxication au botulisme à Bordeaux : «Rendre gravement malade ...

Sidération à Bordeaux. Après l’intoxication de douze personnes à la toxine botulique – une affection neurologique grave –, les investigations se concentrent autour d’un restaurant, le Tchin Tchin Wine bar, dans le centre-ville historique de la capitale girondine. Toutes les personnes tombées malades y ont mangé, la semaine dernière, des sardines en conserves artisanales servies sous forme de tapas. Le décès, mardi 12 septembre, d’une femme de 32 ans, hospitalisée en région parisienne, a créé un nouvel émoi. Son mari est toujours en soins intensifs. Huit autres patients sont également hospitalisés au CHU de Bordeaux, dont six intubés en réanimation. Deux autres sont soignés en Allemagne et en Espagne. Car ce sont majoritairement des touristes, pour la plupart âgés de moins de 41 ans, qui ont développé des symptômes.

Chez les restaurateurs de la ville, la nouvelle a largement circulé et ne cesse d’alimenter les conversations. Un coup de massue qui s’accompagne de craintes autour d’une éventuelle psychose. «Rendre gravement malade un client, c’est la hantise de tout restaurateur. Forcément, on se demande comment on a pu en arriver là», pointe Jean, responsable d’un bar à vin dans le quartier Saint-Paul. «J’ai travaillé dans l’agroalimentaire, je sais à quel point c’est complexe de préparer soi-même ses conserves. La réglementation est très stricte, il faut un plan d’hygiène irréprochable», poursuit-il. «Etre équipé et maîtriser ce savoir-faire, ça ne s’improvise pas. Chez nous, pas de conserves, mais on sent et on goûte tout systématiquement. Quand on a le moindre doute, on met de côté», abonde Alexandre, salarié dans un restaurant qui prône le fait-maison à deux pas de l’hôtel de ville. «Ça fait vraiment bizarre car on a organisé notre repas de Noël chez eux [au Tchin Tchin Wine bar, ndlr] l’an dernier avec le staff», livre-t-il encore, pointant un «probable manque de vigilance».

Dans un restaurant tout près de la place de la Bourse, où tout ou presque est servi dans des bocaux stérilisés, deux gérants sont encore abasourdis. «J’y pense nuit et jour depuis que c’est arrivé», soupire Delphine qui a dû répondre aux questions de plusieurs clients angoissés. «Pour nous, pas question de prendre des risques : on a fait le choix de passer par un labo comme de nombreux autres restaurateurs. Ça coûte de l’argent, mais au moins on dort tranquille», complète son compagnon Christophe. «C’est très grave ce qui s’est passé, mais je ne suis pas si étonné car on est peu, voire pas contrôlé, c’est au restaurateur de veiller à ce que le protocole soit nickel», commente Tim, restaurateur dans le quartier Saint-Pierre. Tous les professionnels interrogés – une dizaine – confient par ailleurs n’avoir jamais été inspectés par les services d’hygiène. Sauf à l’ouverture, qui remonte parfois à plus de dix ans.

Interrogé par le journal local Sud Ouest, le restaurateur mis en cause reconnaît avoir jeté certaines de ses conserves en raison d’une «forte odeur» et «une absence de vide». «D’autres paraissant saines ont été servies aux clients», a-t-il ajouté. De son côté, la Direction départementale de la protection de la population (DDPP) pointe d’ores et déjà «des manquements» ainsi qu’une «méconnaissance des procédures d’hygiène nécessaires à la réalisation de conserves». Des prélèvements vont être réalisés sur les produits incriminés. Si l’établissement n’a pas été fermé, son gérant, en revanche, a interdiction de fabriquer de nouvelles conserves, par arrêté préfectoral.

Après avoir recoupé le nombre de plateaux servis et analysé les tickets de caisse depuis le 4 septembre, la DDPP estime qu’entre 25 et 30 personnes pourraient être contaminées. L’incubation allant de quelques heures à quelques jours, les autorités sanitaires se préparent à accueillir de potentiels nouveaux malades jusqu’à dimanche. Dès lundi, une alerte a été lancée via un réseau international assez structuré utilisé face aux risques bactériologiques émergents. L’objectif : qu’aucun patient ne passe à la trappe ou ne soit sous-diagnostiqué afin de recevoir le traitement approprié, à savoir un anti-toxinique.

Benjamin Clouzeau, médecin réanimateur au CHU de Bordeaux, rappelle qu’il faudra certainement plusieurs «semaines de rééducation» pour les patients hospitalisés. «Les patients en majorité sont réveillés et sont totalement ou partiellement paralysés. Il faudra du temps avant que les blocages se dissipent. Dans ce laps de temps, d’autres complications peuvent survenir, mais leur grande chance, c’est qu’ils sont jeunes et n’ont pas de comorbidités», détaille le médecin qui insiste sur le caractère exceptionnel de la situation. «D’habitude, le nombre de cas par an se compte sur les doigts des deux mains, donc là, en avoir douze d’un coup dans le même foyer, c’est rarissime.»