Avec le «Blue Monday», sommes-nous conditionnés pour passer ...
DÉCRYPTAGE - Selon une supercherie marketing qui a fait florès, le troisième lundi du mois de janvier serait le jour le plus déprimant de l'année.
À l’origine, une formule mathématique. En 2005, Cliff Arnal, un psychologue irlandais, réfléchit au jour le plus déprimant de l'année. Pour lui, pas de doute, c'est le troisième lundi du mois de janvier. Pourquoi ? Car cette journée concentre les conditions du désastre. Pêle-mêle : un début de semaine de travail, un temps hivernal et glacial, un porte-monnaie vide après Noël, peu ou pas de vacances en perspective… Et bien souvent, l'abandon des nouvelles résolutions est déjà acté.
Pour parfaire sa supercherie et lui prêter une consistance scientifique, le professeur invente une formule mathématique. Mais personne n'est dupe. «La formule n'a pas de sens, les unités ne sont même pas définies», confirme Nicolas Gauvrit, enseignant-chercheur en sciences cognitives à l'université de Lille. «Cela n'a rien de rigoureux, ni de scientifique».
Prophétie autoréalisatrice ?Heureusement, donc, le 16 janvier n'est pas le jour le plus déprimant de l'année 2023. Du moins, aucune preuve scientifique ne vient valider cette thèse. Mais à défaut d'être exacte, cette théorie pourrait-elle avoir des effets sur le moral ? Le créateur Cliff Arnal l'a qualifiée lui-même de «prophétie autoréalisatrice». Serions-nous plus déprimés à l'idée de traverser ce fameux «Blue Monday» ?
A priori, non. Plusieurs études menées dans les années 1980 ont montré que, si les personnes pensaient être plus déprimées le lundi (de n'importe quelle semaine), elles se trompaient. «Les gens imaginent ou projettent leur sentiment de déprime mais on ne le vérifie pas dans les faits», explique Nicolas Gauvrit.
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«Lorsque l'on demande aux gens d'évaluer leur humeur tout au long de la semaine, on se rend compte qu'elle reste inchangée du lundi au jeudi», poursuit l'expert. Les trois derniers jours de la semaine, seulement, sont synonymes de joie. «Ainsi, il est probable que de la même manière, ce fameux “Blue Monday”n'ait pas d'effet sur les gens, même s'ils en sont persuadés».
L'idée même que le lundi est un jour plus déprimant que les autres est fausse. Le chercheur abonde : «les seules données dont nous disposons datent d'ailleurs d'avant 2005, où l'on parlait déjà du lundi de manière péjorative ; on avait remarqué que les investisseurs prenaient moins de risques économiques ce jour-là…». Mais on peut y trouver plusieurs explications. «Certes, cela pourrait venir d'un petit sentiment de déprime, mais les gens prennent surtout moins de risque en début de semaine car ils patientent et savent qu'il reste plusieurs jours derrière», affirme-t-il.
Un mois difficilePar ailleurs, même si le «blue Monday» avait des effets, il serait difficile d'en deviner la nature exacte. «Face à ce type d'information, deux réactions sont envisageables : d'un côté la déprime, entraînée par la certitude de faire face à une journée difficile ; et de l'autre au contraire, un investissement personnel pour éviter la tristesse», détaille Nicolas Gauvrit.
La dernière difficulté vient enfin du fait que cette journée mondiale, comme beaucoup d'autres, n'est pas nécessairement connue du grand public. «Je ne connaissais pas vraiment ce jour, je l'ai découvert sur internet l'année dernière, raconte Juliette*, 20 ans, et honnêtement ça ne joue pas vraiment sur mon humeur».
«Mais de toute une manière, c'est une période difficile, le mois de janvier», poursuit-elle. L'étudiante évoque le froid, les partiels, le manque d'argent, mais aussi les grèves à venir, propres au calendrier de l'année 2023. «Il y a aussi quelques facteurs physiologiques qui peuvent procurer ce type de sentiment», évoque une psychiatre du 18ème arrondissement de Paris. «Le manque de lumière durant cette période de l'année peut par exemple jouer un rôle».
Pour la psychiatre, cependant, cette journée peut véhiculer de fausses idées sur les réelles causes de la dépression : «une déprime généralisée qui dure seulement une journée n'en est pas une», s'agace-t-elle. Pour elle, ce type d'événement pourrait occulter les véritables facteurs de la maladie.