Disparition de Bertrand Blier.
Humour noir, barbe blanche, Bertrand Blier était l’un des auteurs de cinéma les plus singuliers des dernières décennies. Avec son ironie, son sens du verbe provocateur, son regard d’une liberté incommode, il avait offert à notre imaginaire des films passés dans la légende – des « Valseuses » à « Tenue de soirée ». Enfant du cinéma, passeur de générations d’acteurs, de Jean-Pierre Marielle à Jean DUJARDIN sans oublier Patrick Dewaere, il appartenait à la grande tradition française des peintres de tempéraments, entre misanthropie et tendresse.
Le destin de Bertrand Blier, né le 14 mars 1939, est d’abord indissociable de celui de son père, géant du cinéma français d’après-guerre. Si l’âge venant la ressemblance physique s’accentua, père et fils composèrent chacun à leur manière le portrait des hommes de leur génération : héroïques et bourrus pour Bernard, frappés par une quête de sens et la mélancolie amère, pour Bertrand. Ce dernier grandit dans l’amour du jazz, des acteurs, de la littérature, de l’univers paternel, aussi. Bertrand Blier commença d’abord aux côtés de Georges Lautner, réalisateur fétiche de son père, qu’il assista sur quatre films au début des années 1960 et pour lequel il écrivit aussi le scénario de « Laisse aller c’est une valse » en 1970. Cet héritage paternel, Bertrand Blier l’enrichit encore le mettant en scène avec « Si j’étais un espion » (1967). S’il s’était essayé en 1963 au documentaire avec « Hitler, connais pas », ce fut néanmoins en 1974 que Bertrand Blier se fit connaître avec la sortie des « Valseuses », adaptation de son propre livre paru en 1972. Dans ce film où éclatait le talent de Gérard DEPARDIEU et de Patrick Dewaere, Bertrand Blier signait le manifeste d’une génération, taraudée par l’envie de liberté de l’après mai-68. Il parvenait aussi à réunir cinq millions de spectateurs en salles, imposant par ce coup de maître son ton, parfois grivois et toujours surréaliste dans l’héritage revendiqué de Luis Buñuel. Bertrand Blier s’était inventé un style de cinéma, fait d’humour noir, de dérision, de liberté.
Il s’était aussi fabriqué un rôle à part dans le cinéma français : révélateur des talents inconnus, dialoguiste hors pair, romancier de l’époque, celle de la fin des Trente Glorieuses et de la solitude masculine face à la société de consommation. Ainsi de « Calmos », en 1976, avec Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort et son père à nouveau, ou « Préparez vos mouchoirs », deux ans plus tard qui ressuscitait le tandem d’acteurs des « Valseuses » et remporta l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Puis, Bertrand Blier ayant gagné les faveurs du public, installa plus en avant sa couleur personnelle nimbée d’inquiétante étrangeté, telle que sublimée par « Buffet froid » en 1979, comédie aussitôt culte, avec deux Blier au générique. Le réalisateur avait trouvé sa troupe, tel Patrick Dewaere à nouveau à l’affiche de « Beau-père » (1981), Michel Blanc et Gérard Depardieu, héros de « Tenue de soirée », en 1986, qui fut un nouveau triomphe public. Avec « Trop belle pour toi », Bertrand Blier remporte tous les lauriers - grand prix du Jury au Festival de Cannes et cinq César en 1990 - et conclut une décennie dans laquelle il s’était imposé dans le cœur et l’imaginaire des Français.
Après cette exploration des drames masculins, Bertrand Blier engagea une nouvelle ère dans son cinéma. Anouk GRINBERG, sa compagne, fut l’héroïne de « Merci la vie » (1991) puis de « Un, deux, trois soleil » (1993) et de « Mon homme » (1996), trilogie d’une France populaire. Durant ces années où il s’essaya aussi au théâtre avec les « Côtelettes », en 1997, Bertrand Blier n’en creusa pas moins sa veine personnelle, pétrie d’amour pour le cinéma, tel qu’elle éclatait encore dans « Les Acteurs » sorti en 2000. Revenant sur le tard à sa veine faite d’humour noir, regardant, à nouveau, les hommes de son temps, il retrouva le goût du public et celui de la critique avec « Le Bruit des glaçons », par lequel Albert DUPONTEL et Jean DUJARDIN intégraient son univers.
Le Président de la République et son épouse saluent un géant du cinéma français, qui a marqué de son empreinte libre et cinglante notre imaginaire national pendant cinq décennies. Ils adressent à sa famille, à ses proches, à ceux qui l’aimaient leurs condoléances sincères.