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“Beetlejuice Beetlejuice” de Tim Burton : moi, mort et méchant

Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton  moi mort et méchant
Le dernier film de Tim Burton, Beetlejuice Beetlejuice, suite du premier opus sorti en 1988, est à l’affiche depuis ce mercredi. Le héros, avec ses airs…

Le dernier film de Tim Burton, Beetlejuice Beetlejuice, suite du premier opus sorti en 1988, est à l’affiche depuis ce mercredi. Le héros, avec ses airs potaches, incarne à merveille la mort selon le philosophe Jankélévitch : une « gaffeuse suprême », sans foi ni loi, pleine de mauvais esprit et d’irrévérence. 

 

Il est de retour d’entre les morts : le Tim Burton que l’on aime, le réalisateur piquant, créatif, mordant et délicieusement macabre. Ce n’était pas gagné, et pourtant le réalisateur d’Édouard aux mains d’argent (1990) et de Batman. Le défi (1992) a gagné son pari : offrir un second volet à son film Beetlejuice à la hauteur du premier.

Sorti en 1988 ce long métrage fait de bric et de broc, peuplé de marionnettes en carton-pâte, aux grosses coutures bien visibles, était d’autant plus réussi qu’il avait le charme des films « faits maison ». La version de 2024 a réussi à retranscrire à l’écran le charme artisanal du premier. Comme dans le scénario initial, l’histoire est peuplée d’un cortège horrifique de créatures coupées en deux au sang gluant et bouillonnant, de visages tordus blafards ou verdâtres, parfois couverts de pustules, ou de minuscules têtes en forme de raisin sec (les plus attachants). Le tout sur la bande originale entraînante et joyeusement funèbre de son comparse de toujours, Danny Elfman.

C’est ce qui fait tout le charme de cette création de Tim Burton : la mort est drôle, parfois franchement sexy (grâce à Monica Bellucci, qui incarne l’ex-femme de Beetlejuice, incarné de nouveau par Michael Keaton) et burlesque comme dans un grand cabaret. Les défunts, loin d’être des esprits éthérés, prennent la forme bien concrète d’une guichetière blasée fermement opposée aux passe-droits – « Oui, oui vous êtes morte mais prenez votre ticket et attendez » – ou de fêtards prêts à débarquer en rave party, qui se trémoussent sous le tunnel d’un train fantôme à la façon des zombies du clip Thriller de Michael Jackson.

Morbide obscénité

Mais le plus drôle des morts, le plus irrévérencieux, le plus mauvais esprit reste évidemment Beetlejuice, l’anti-héros par excellence. Avec son visage putréfié recouvert de terre et son haleine douteuse que l’on pourrait presque sentir à travers l’écran, le repoussant démon fait son retour en grande pompe funèbre. S’il est un peu moins libidineux que dans la version de 1988 (il a arrêté de regarder sous les jupes des femmes), Beetlejuice a gardé ses autres vices intacts : roublard, sans gêne et mal embouché.

À lire aussi : Petite philosophie de la gaffe

L’odieux personnage offre ainsi un visage non pas tragique, mais obscène et ridicule du trépas. Il correspond en ce sens à la définition que propose Vladimir Jankélévitch de la mort, qui prend le visage d’une « gaffeuse suprême » sans foi ni loi « choqu[ant] les vivants par son irruption indécente dans leur circuit bien huilé » (Du mensonge, 1945). Dès lors, poursuit le philosophe : « On tremble au spectacle du gaffeur circulant lourdement et gauchement parmi les fragiles porcelaines des intentions d’autrui, toujours sur le point de provoquer le court-circuit fatal. » Il en est de même chez Beetlejuice, qui vient perturber les équilibres, moquer les bien-pensants et ravager en une seconde tous ceux qui tiennent la route et essaient de garder une contenance. À l’instar de la mort chez Jankélévitch, il fonctionne comme « un coup de bistouri en plein scandale », qui vient remuer les plaies béantes.

L’art de mettre les pieds dans le plat

Ce héros d’un autre temps (il est censé être né au XVIIe siècle) débarque fièrement en 2024, dans un monde marqué par des angoisses et des névroses nouvelles. Catherine O’Hara, la grand-mère, incarne une insupportable commissaire d’exposition cherchant à « disrupter l’art du deuil », après la mort de son mari. Sa fille (Winona Ryder) s’est entichée d’un homme d’affaires véreux (Justin Theroux) qui l’emmène faire des thérapies new-age censées traiter la détresse à coup de respirations ventrales. La petite fille (Jenna Ortega) tente quant à elle de gérer tant bien que mal ses problèmes de harcèlement scolaire, son éco-anxiété et ses rapports conflictuels avec sa mère... Les personnages se démêlent avec leurs angoisses dans la maison de famille recouverte d’un grand voile noir, semblable à ceux posés par le couple d’artistes Christo et Jeanne-Claude sur divers monuments (Le Reichstag à Berlin, l’Arc de triomphe à Paris…).

Quand Beetlejuice met ses gros sabots dans cette ambiance de galeriste new-yorkais, cela fait évidemment des étincelles. Comme la mort-gaffeuse de Jankélévitch, le personnageprofane « sans honte les tabous du langage, déchire le tissu des malentendus, explore de son regard indiscret les coins d’ombre de la fausse pudeur ». Bref, Beetlejuice installe le chaos au milieu de celles et ceux qui essaient de garder la face, quitte à tricher et à se mentir à eux-mêmes.

La fragilité des vivants

Par contraste avec le monde enjoué des morts, celui des vivants apparaît fragile et précaire. C’est peut-être ici que se joue le versant plus sérieux du film, qui quitte par moments ses allures de (belle) farce morbide et potache, pour évoquer les sujets plus profonds du deuil, de la tristesse ou encore de la joie de vivre.

L’existence (des vivants) est selon Jankélévitch animée par de « très fragiles chefs-d’œuvre » comme « la modestie, la grâce, le charme, l’humour ». Le philosophe nous met en garde : « Il suffit qu’ils se professent eux-mêmes pour s’abolir dans le ridicule et dans la dérision. Il s’en faut d’un rien pour que ces œuvres précaires dévoilent leur peu d’existence solide, la haute fragilité de leur présence. » C’est sur cette ligne de crête, entre humour et élégance, charme et dérision, fragilité et impertinence, que se situe l’univers « burtonien » quand il est, comme ici, à son meilleur niveau.

 

Beetlejuice Beetlejuice, de Tim Burton, avec Michael Keaton, Catherine O’Hara, Winona Ryder, Justin Theroux et Jenna Ortega, est à l’affiche depuis le 11 septembre 2024.

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