François Bayrou prochain Premier ministre ?
François Bayrou nourrit depuis toujours une fervente admiration pour Churchill. « Toujours du côté des Hommes d’État et de l’Histoire », écrivait-il dans son ouvrage De la vérité en politique (Plon, 2013). Le Premier ministre britannique fut nommé à l’âge de 66 ans, quand François Bayrou y accéderait à Matignon à 73 ans. Toutes choses égales par ailleurs, les deux hommes parviennent aux responsabilités dans un contexte de pays en crise, plongés dans l’incertitude. Nul doute que le souvenir de son illustre pair accompagnera le Béarnais rue de Varenne, s’il devait être nommé dans les prochaines heures.
En un an, c’est la seconde fois qu’Emmanuel Macron envisage de recourir à lui. Le 8 février dernier, Amélie Oudéa-Castéra, engluée dans une polémique liée à la scolarisation de ses enfants au collège privé Stanislas, démissionne du ministère de l’Éducation nationale. Emmanuel Macron propose alors à François Bayrou de lui succéder à un poste qu’il avait occupé entre 1993 et 1997. Le président du MoDem décline vertement, jugeant ses divergences avec la méthode du président « rédhibitoire ».
Et pour cause, depuis la réélection de Macron, François Bayrou a pris ses distances avec celui auquel il s’était rallié en 2017, renonçant à être lui-même candidat à la présidentielle. Réforme des retraites, loi immigration… « mauvaise méthode », « textes déséquilibrés », à la façon d’un maître sanctionnant sévèrement son élève. Les relations entre les deux hommes, au fil du second mandat, se sont fortement refroidies, au point que les conseillers d’Emmanuel Macron l’affublent volontiers du titre « d’emmerdeur », « de boulet », lors d’entrevues avec les journalistes.
Et puis Macron décida de dissoudre
Et puis… Et puis Emmanuel Macron décida de dissoudre. L’ensemble de ses pairs, d’Edouard Philippe à Nicolas Sarkozy, en passant par François Hollande fustigent sa décision. « Incompréhensible », « suicidaire », « délirante »… Seule la voix de François Bayrou, s’élève pour saluer une décision courageuse. « Il y avait un abcès et il fallait crever l’abcès », commente le maire de Pau. Quand s’expriment des sentiments, des attentes, c’est mieux que quand ça bouillonne dans les profondeurs » plaide le président du Modem tout en annonçant que la « clarification » ainsi mise en œuvre sera « tourmentée » voire « dangereuse ». En homme du recours, Bayrou se voyait déjà les épaules pour prendre la tête d’un gouvernement en mission dès l’été. Le profil de Michel Barnier, finalement préféré, lui convenait néanmoins.
Aujourd’hui son heure semble enfin venue, lui qui – en dehors de l’expérience d’un mois et quatre jours à la Justice, écourté par sa mise en examen dans le cadre du financement des attachés parlementaires européens du Modem – n’a plus été ministre depuis 1997.
L’homme de la situation ? En tout cas François Bayrou a pour lui d’avoir toujours eu des égards pour le Rassemblement national, et singulièrement pour Marine Le Pen. Lors de la dernière présidentielle, il avait ainsi donné son parrainage d’élu à la candidate du RN pour lui permettre de valider sa candidature. Compagnons de prétoire dans le cadre des poursuites liées aux salaires des attachés parlementaires européens, Bayrou avait fortement critiqué le réquisitoire des juges à l’encontre de Marine Le Pen réclamant « l’exécution provisoire de sa peine d’inéligibilité ».
Ces dernières heures, Jean-Philippe Tanguy, député RN, interrogé sur le profil du maire de Pau pour Matignon, a d’ailleurs souligné la posture respectueuse de Bayrou à l’endroit de son mouvement. Grand défenseur de la proportionnelle, dont il attend toujours qu’elle soit mise en œuvre par Emmanuel Macron qui lui en avait fait la promesse, il partage là le même objectif que Marine Le Pen, même si tous deux diffèrent sur ses modalités.
À gauche, la personnalité « centrale » du haut-commissaire au plan, pourrait lui valoir une certaine mansuétude, voir, dans le meilleur des cas, permettre d’explorer l’hypothèse d’un « pacte de non-censure ». Non seulement Bayrou ne s’est pas exposé dans des postes à responsabilités depuis 2017, mais il a toujours fait preuve de retenue dans le débat public, souvent hystérisé, ces derniers mois, n’hésitant pas ponctuellement à donner le point aux opposants quitte à tirer l’oreille de son protégé.
À Matignon, François Bayrou aurait l’occasion d’expérimenter une pratique politique qu’il théorise et défend depuis près de 20 ans. Lors du congrès de l’UDF, en 2005, il acte la rupture de la famille centriste avec son allié historique UMP – et anciennement RPR. Pour la première fois depuis Giscard, le centre s’autonomise, avec l’ambition de devenir l’artisan de coalitions gouvernementales associant partis de la gauche et de la droite républicaine. Jugeant le bipartisme comme un mal mortifère source de brutalisation, de radicalité et finalement stérile, Bayrou envisage l’action politique comme la mise en œuvre d’un consensus – ou d’un compromis – servant au mieux l’intérêt général.
Sans doute aurait-il préféré se faire élire sur la foi d’une promesse consacrée par le suffrage universel des Français à l’occasion d’une présidentielle. S’il accepte d’endosser la responsabilité du pouvoir au plus fort de la crise, nul doute qu’il placera son mandat sous l’emblème de « la réconciliation ». Réconciliation entre Paris et la Province, — dont il reproche à Emmanuel Macron de l’avoir aggravé —, réconciliation entre monde agricole et hauts fonctionnaires bruxellois, réconciliation entre petits patrons et services de Bercy, réconciliation - ou à tout le moins retour à la raison - d’un personnel politique enfiévré qui semble ces derniers mois perdre de vue sa seule mission : servir les Français.