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Barcelone, la “safe place” des femmes entrepreneuses

Barcelone la safe place des femmes entrepreneuses
Dans la cité catalane, les businesswomen se serrent les coudes. L'association "Gendered Landscapes" leur a ouvert un espace dédié au coworking et à la formation, qui concilie avec succès féminisme et entrepreneuriat.

Dans la cité catalane, les businesswomen se serrent les coudes. L’association “Gendered Landscapes” leur a ouvert un espace dédié au coworking et à la formation, qui concilie avec succès féminisme et entrepreneuriat.

À la veille de la journée du livre, treize autrices sont intervenues au Cibernarium de Barcelona Activa - Crédits : Gemma Guasch Montesinos / The Newsroom 27

“Solitude”. C’est le mot employé par de nombreuses femmes lorsqu’on leur a demandé de décrire le lancement de leur entreprise. Dolores Arroyo, fondatrice de la société de décoration d’intérieur BCN Feng Shui, travaillait dans l’industrie du gaz avant de tomber enceinte. Son employeur n’a pris aucune mesure pour s’adapter à cette situation, la faisant travailler deux fois plus, le week-end et même la nuit. “Je faisais mon maximum et il n’y avait aucune perspective d’évolution”, confie-t-elle lors d’un entretien. Sans même être prévenue, elle a été licenciée. Elle s’est donc retrouvée confrontée au chômage et à la maternité au même moment.

Cet article est publié dans le cadre du projet journalistique The Newsroom 27, financé par la Commission européenne et géré par Slate.fr. Il vise à créer une salle de rédaction éphémère transeuropéenne composée de 27 jeunes journalistes issus de toute l’Union européenne, et à dresser un panorama de la politique de cohésion de l’UE. Toute l’Europe s’associe à cette initiative et propose ainsi une sélection de récits d’Européens, à découvrir sur une page spéciale enrichie chaque semaine de deux nouveaux articles, le lundi et le mercredi.

Mais Dolores Arroyo ne s’est pas laissé abattre. Avec une collègue, elle travaillait depuis un moment sur un projet autour de la décoration d’intérieur. Elle a su rebondir et s’est servie de son diplôme en marketing pour mener à bien cette idée et faire en sorte qu’elle soit rentable. Il leur a fallu trois ans pour développer la marque et commencer à proposer des projets gratuits pour se faire connaître. Au bout d’un certain temps, sa collègue, qui ne partageait plus la même vision des choses, s’est retirée. C’est donc seule que Dolores Arroyo a réussi à percer.

Marta León, ingénieure chimiste qui a créé sa propre marque de nutrition et de santé hormonale féminine, connaît également bien ce sentiment de solitude. “En fin de compte, c’est moi qui ai le dernier mot, c’est donc à moi que revient la responsabilité de chaque décision. Et ce poids, il faut le porter seule”, déclare-t-elle. Ce n’est pas par nécessité, mais bien par ambition personnelle qu’elle a décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat. Alors qu’elle occupait un poste très monotone dans une université de Madrid, elle a commencé à se renseigner sur la santé hormonale. Le plus difficile a été de quitter son travail, de déménager à Barcelone et de tout recommencer à zéro en créant sa marque.

Quand le soutien des proches ne suffit pas

Maria Barranco, quant à elle, a l’entrepreneuriat dans la peau. Idéaliste, elle a eu l’ambition, les compétences et le courage de diriger des petites entreprises dès son plus jeune âge. Son premier projet, en 1997, visait à développer des stratégies pour améliorer la formation technique des femmes dans l’industrie métallurgique. Chez Seat, par exemple, les femmes cousaient des sièges, mais les secteurs métallurgiques étaient réservés aux hommes. Il en était de même dans d’autres usines du même secteur. “L’une des premières choses que j’ai faites avec les travailleurs de Braun a été de convaincre une femme de soulever une brouette”, se souvient-elle en riant.

À la suite de cette expérience, elle a continué à former et à travailler en tant que directrice dans une entreprise qui a fait faillite en 2012. Après la crise financière, elle s’est retrouvée au chômage, comme beaucoup d’autres employés. Observatrice, elle a su identifier précisément ce qui avait mené l’entreprise à cette situation et a lancé sa propre boîte de formation de femmes au chômage pour leur permettre de réintégrer le marché du travail. Aujourd’hui, après de nombreuses créations d’entreprises, elle est présidente de l’Asodame (Association des femmes entrepreneuses).

Dolores, Marta et Maria sont des femmes d’affaires, mais aussi des mères, des sœurs, des épouses et des filles. De l’extérieur, elles ont l’air entourées, mais parfois, le fait de partager le fardeau de la gestion de sa propre entreprise avec ses proches ne suffit pas. Si seulement il existait un espace qui permette aux entreprises dirigées par les femmes de converger et de créer des synergies entre elles… En réalité, et heureusement, cet espace existe déjà.

Le rôle-clé de l’Union européenne

“Nous voulons devenir la première ville européenne en matière d’entrepreneuriat des femmes”, déclare Maria José Blanco Gutiérrez, coordinatrice du groupe local de Barcelone pour le projet de réseau de planification d’action Urbact “Gendered Landscapes”.

Lorsque les acteurs du programme Urbact ont posé leurs valises dans ce coin de la côte méditerranéenne, ils cherchaient à faire en sorte que les femmes se sentent davantage en sécurité dans la ville. Les membres du programme de coopération territoriale européenne ont parcouru le continent pour concevoir des plans d’action intégrés avec les acteurs locaux afin de relever leurs propres défis en matière d’égalité entre les sexes.

Espai Lidera est un espace de coworking […] destiné exclusivement aux entités qui promeuvent la carrière professionnelle des femmes.

Ils sont tombés sur Barcelona Activa, l’agence de développement local de la municipalité, qui est ensuite devenue leur partenaire dans le cadre du projet. L’entrepreneuriat féminin a toujours figuré au centre de l’action de l’agence depuis sa création en 1986. En 2015, un autre projet financé par l’UE, intitulé “Emma”, a choisi l’école pour femmes entrepreneuses de Barcelona Activa pour tester de nouvelles initiatives. Quatre ans plus tard, l’école est devenue Lidera, un service de coaching, de mentorat et de mise en réseau pour les directives professionnelles ou les femmes entrepreneuses.

Grâce à cet état d’esprit et au financement de l’Union européenne, “Gendered Landscapes” a créé le fils (ou plutôt la fille) de Lidera : Espai Lidera. Il s’agit d’un espace de coworking qui offre des possibilités de réunion et de mise en réseau, destiné exclusivement aux entités qui promeuvent la carrière professionnelle des femmes. Cet espace comprend deux salles : la principale, réservée au coworking, et une salle secondaire, destinée à la formation.

Cet espace compte actuellement sur la participation de douze entités différentes. Ces dernières peuvent utiliser l’espace de manière flexible, avec un minimum de quinze heures par semaine pour le coworking et de cinq heures par semaine pour la formation.

Les locaux du projet Espai Lidera - Crédits : Barcelona Activa / The Newsroom 27

Un partenariat donnant-donnant

Les entités peuvent occuper ces espaces gratuitement, mais en échange, elles doivent organiser deux activités annuelles qui leur permettent de travailler ensemble et de lancer des projets qui peuvent être utiles dans le cadre professionnel. La dernière s’est tenue le 22 avril, la veille de la Saint-Georges et de la Journée nationale du livre. Asodame, en collaboration avec trois autres entités d’Espai Lidera, a organisé une célébration dans l’un des espaces les plus attrayants de Barcelona Activa : le Cibernarium. Treize autrices ont été invitées à partager leur expérience du métier et leur recul sur des problématiques spécifiques.

Cependant, comme le souhaite Cristina Pacheco, l’actuelle cheffe de projet pour les projets d’entrepreneuriat collectif, il faudrait accorder une “subvention à ces entités pour leurs activités professionnelles au service et à la promotion du projet, afin de récompenser leurs efforts”. Même si elle admet que leur espace et leur personnel sont limités, leur effet sur la communauté professionnelle est indéniable.

En fin de compte, l’espace de coworking, plus adapté à une utilisation quotidienne, et les activités annuelles exclusives permettent aux partenaires de converger et de faire pression. En rassemblant ces entités féministes issues de différentes branches professionnelles, le groupe bénéficie d’une intersectionnalité qui leur permet de revendiquer leurs besoins communs en tant qu’agents de la politique professionnelle de la municipalité, puisqu’elles partagent le même objectif : l’égalité entre les sexes.

Une autre salle des locaux du projet Espai Lidera - Crédits : Barcelona Activa / The Newsroom 27

Inciter les femmes à entreprendre

Le fait d’entreprendre est un défi en soi. Créer sa propre entreprise peut sembler illusoire et décourageant. “Il faut créer quelque chose de suffisamment avancé pour que ce soit nouveau, mais pas trop pour éviter que personne ne vous suive”, explique Maria Barranco, du haut de ses longues années d’expérience. Elle ajoute qu’il est frustrant de constater que les grandes entreprises absorbent souvent les nouvelles et que le succès n’est jamais garanti.

Même si entreprendre est loin d’être facile, il s’agit d’un acte de la plus haute nécessité. Pourquoi ? C’est simple : les entrepreneurs génèrent un flux d’idées novatrices. Ils donnent au marché un vent de fraîcheur que les multinationales ne peuvent pas offrir en raison de leur dynamique bridée par les procédures, qui ne fait que limiter leur comportement et leur marge d’innovation.

Pour survivre dans ce monde extrêmement compétitif de l’entrepreneuriat, l’essentiel est de garder confiance en soi et en ce que l’on vend. La recherche de financement nécessite des présentations convaincantes et une détermination sans faille. Et, comme l’explique Maria Barranco, “historiquement, les femmes ont été inconsciemment incitées à douter d’elles-mêmes, à ne pas se considérer comme capables, à penser qu’elles doivent faire plus pour réussir”. Ce syndrome de l’imposteur décrit par la présidente de l’Asodame est l’une des raisons pour lesquelles des projets de ce type doivent être mis en œuvre.

Tendance encourageante

En Catalogne, d’après l’Institut de statistiques, 57,77 % des étudiants diplômés étaient des femmes au cours de l’année scolaire 2021-2022. Les chiffres sont très similaires pour les étudiants qui s’inscrivent à l’université, avec 55,74 % de femmes. Le pourcentage de femmes d’affaires titulaires d’un master ou d’un doctorat est légèrement supérieur à celui des hommes d’affaires. Pourtant, malgré cette majorité dans le domaine de l’enseignement, les hommes ont toujours occupé les postes de direction les plus élevés. Du moins, jusqu’à présent.

D’après le dernier rapport du GEM (Global Entrepreneurship Monitor) pour la période 2022-2023, le taux d’entrepreneuriat entre les hommes et les femmes s’est stabilisé en Espagne, grâce à la participation croissante des femmes. En 2021, les statistiques étaient équilibrées entre les deux sexes, et en 2022, le pourcentage a confirmé le phénomène, faisant passer le pourcentage d’entrepreneurs à 6 % de la population.

Les femmes d’affaires désirent créer des entreprises qui peuvent avoir un impact direct sur le monde, plutôt que de simplement accumuler des richesses.

Par ailleurs, les entreprises, notamment celles dirigées par des femmes, s’imposent de plus en plus sur le marché mondial. Contrairement aux années précédentes, elles ne se montrent plus réticentes à mener des projets orientés vers les marchés extérieurs. Cela représente une augmentation de l’orientation économique internationale des entreprises dirigées par des femmes.

Le rapport souligne également des différences entre les types d’entreprises dirigées par les hommes et les femmes. Les femmes ont tendance à prendre des initiatives qui présentent un impact social et environnemental direct, en proposant des services qui touchent directement le consommateur final. À l’inverse, les hommes d’affaires se concentrent principalement sur les industries technologiques. En ce sens, le rapport montre que les femmes d’affaires désirent créer des entreprises qui peuvent avoir un impact direct sur le monde, plutôt que de simplement accumuler des richesses, ce qui est souvent l’objectif principal des hommes d’affaires.

Il serait audacieux d’extrapoler ces résultats et de les relier au projet “Gendered Landscapes” de l’Urbact, car rien ne prouve qu’un projet régional mené au sein d’une seule municipalité puisse affecter les statistiques nationales. Toutefois, il est évident que, avec l’augmentation spontanée de la participation des femmes aux questions entrepreneuriales, des services de soutien tels que Lidera et Espai Lidera permettent d’assurer un équilibre.

L’entrepreneuriat est comme la longue traversée d’un océan de défis, chaque vague mettant à l’épreuve la détermination de l’intrépide marin. Dès la création de son entreprise, l’entrepreneur est en proie à l’incertitude, aux fluctuations du marché et à une concurrence acharnée. Le manque de ressources le pousse souvent à porter plusieurs casquettes et à jongler entre une foule de responsabilités, le tout avec adresse. Grâce à la collaboration de Barcelona Activa, Barcelone est désormais l’une des villes les plus sûres pour les cadres féminins et les femmes entrepreneuses.

Cet article a été réalisé dans le cadre du projet The Newsroom 27, qui a reçu le soutien financier de l’Union européenne. L’article reflète le point de vue de son auteur et la Commission européenne ne peut être tenue responsable de son contenu ou usage.

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