Ariane 6 : raisons d'être du lanceur européen, attentes et enjeux du ...
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Ariane 6 va prendre son envol avec quatre ans de retard, sauf contre-ordre de dernière minute. Une première étape importante pour la France et l’Europe, qui jouent leur souveraineté d’accès à l’espace pour leurs satellites scientifiques et militaires. Les opérations se déroulent comme prévu ou presque, puisqu’un premier retard d’une heure est déjà annoncé.
Mise à jour le 9 juillet à 20h43 : lors d‘une conférence de presse, l’ESA donne des précisions sur cette mission de test, ces enjeux et les attentes. L’actualité a été mise à jour en conséquence.
C’est enfin le jour J pour le nouveau lanceur lourd européen qui remplace Ariane 5, à la retraite depuis déjà un an. Ce lanceur avait pour rappel commencé sa vie (en juin 1996, il y a donc plus de 28 ans) par une explosion après 37 secondes de vol à cause d’un bug informatique.
Ariane 5 finit en beauté
VA261 était en effet la dernière mission d’Ariane 5, signant au passage le 112ᵉ succès de la fusée sur 117 lancements. Dans l’ensemble, les chiffres de toutes les générations d’Ariane sont très bons. En 2021, lors du lancement du télescope James Webb, l’ESA recevait même les félicitations de la NASA pour un lancement d’une grande précision.
Voici un bilan des cinq générations :
- Ariane 1 (1981 à 1986) : 11 lancements, 9 succès
- Ariane 2 (1986 à 1989) : 6 lancements, 5 succès
- Ariane 3 (1984 à 1989) : 11 lancements, 10 succès
- Ariane 4 (1988 à 2003) : 116 lancements, 113 succès
- Ariane 5 (1996 à 2023) : 117 lancements, 112 succès
Les trois raisons d’être d’Ariane 6
La genèse d’Ariane 6 remonte à 2009 avec la mise en place d’un groupe chargé d’écrire un rapport sur la stratégie du futur des lanceurs européens car « Ariane 5 était arrivé au bout des économies qu’on pouvait faire », explique l’ESA durant une conférence. La décision finale de créer Ariane 6 a été prise en décembre 2014.
Ariane 6 à trois raisons d’être, explique l’Agence spatiale européenne. La première, c’est de réduire les couts. L’Agence spatiale européenne visait 40 %, mais « aujourd’hui, on a un peu moins que 40 % ». Un poste important d’économie se trouve au niveau des boosters P120C avec une structure composite carbone qui « permet de réduire le cout d’un facteur cinq ».
La deuxième, c’est la modularité. Ariane 5 avait une configuration unique, là où deux versions d’Ariane 6 sont disponibles : Ariane 62 et Ariane 64. Enfin, la troisième raison, c'est d’avoir un dernier étage rallumable pour livrer des satellites sur plusieurs orbites. C’est d’ailleurs « un des grands enjeux de ce soir ».
« Si nous voulons être autonomes […] nous avons besoin de l’autonomie d’accès à l’espace. L’Europe peut dire qu’elle continue à jouer dans la cour des grandes puissances indépendantes », affirme Bruno Le Maire. Cela concerne à la fois la surveillande de la Terre, le réchauffement climatique, les communications, les enjeux militaires et de sécurité nationale, etc.
Les enjeux de ce soir
L’Agence spatiale met également en avant l’APU (Auxiliary Power Unit), un « système absolument unique au monde » dont ce sera une « première mondiale » durant le test de ce soir. Cet APU « permet de pressuriser les réservoirs de l’étage supérieur, de préparer les rallumages en vol du moteur Vinci ou encore d’effectuer des poussées complémentaires sur demande, en orbite ».
Autre changement de taille, la « séparation en temps positifs des bras cryotechnique », que l’on pourra donc voir lors du décollage de ce soir. Sur Ariane 5 ils se retiraient quatre secondes avant le départ, sur Ariane 6 ils se détachent au moment du décollage : « ce sera un moment critique ».
Ariane 6 dispose aussi d’un portique mobile afin de faciliter des opérations de maintenance. C’est un « retour d’expérience de Soyouz » qui était avant la guerre en Ukraine opéré depuis la base de Kourou en Guyane.
Pourquoi un test en vol est-il nécessaire ?
Il s’agit aujourd’hui d’un lanceur de qualification pour Ariane 6, pour une raison simple : « on ne peut pas tester au sol tout ce qui se passe pendant le lancement ». Le moteur, les étages et les équipements électriques peuvent passer des essais au sol, mais « le test complet, ce n’est pas possible ».
La mission doit durer deux heures et demie avec trois allumages du moteur (qui peut en théorie en faire quatre) et quatre séparations. Ariane 6 doit livrer une dizaine de satellites et cinq expériences.
Ariane 62 ouvre le bal
Il est temps de tourner la page et de passer à Ariane 6, une fusée attendue et c’est peu de le dire. Nous avons déjà détaillé les caractéristiques des deux versions – Ariane 62 et 64 avec respectivement deux et quatre boosters – dans un précédent article. C’est Ariane 62 qui est sur le pas de tir pour ce premier décollage.
L’Europe ne dispose d’aucun lanceur pour le moment : Vega(-C) est cloué au sol après une explosion, Soyouz sous embargo depuis l’invasion de l’Ukraine et Ariane 5 n’est plus produite (et tous les exemplaires envoyés). Les plus pressés ont d’ailleurs dû trouver des solutions de replis, au grand plaisir de SpaceX.
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Quatre ans de retard
Le vol inaugural d’Ariane 6 arrive avec quatre ans de retard et porte de nombreux espoirs. Il était pour rappel initialement prévu pour 2020, avant de glisser à 2021, puis au deuxième trimestre 2022, au troisième trimestre 2022. Il est ensuite passé à fin 2023, même si tout le monde ou presque s’attendait à un lancement courant 2024, ce qui a d’ailleurs été confirmé par la suite. Cette fois, cela semble être la bonne.
Il y a plusieurs raisons à ces retards. L’Agence spatiale européenne expliquait que la pandémie n’était pas la seule responsable : « même avant la crise du Covid-19, un certain nombre d'activités étaient déjà sur le chemin critique, ce qui remettait en question la date d'un vol inaugural ». La guerre en Ukraine et la fin des relations avec Roscosmos sont aussi venues repousser le calendrier.
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Jusqu’ici, tout va bien…
Quoi qu’il en soit, nous y sommes. La fenêtre de tir pour la mission VA262 de ce soir dure plusieurs heures, permettant des ajustements si besoin (et il y en a déjà, nous en reparlons juste après). Nous sommes sur place, dans les locaux parisiens de l’Agence spatiale européenne, afin de vous tenir informés des opérations.
Elles se déroulent pour le moment comme prévu : « le portique mobile de 90 mètres de haut et 8 200 tonnes a été reculé comme prévu de 140 mètres plus tôt cet après-midi… #Ariane6 a désormais vue sur le ciel de Guyane ! », explique l’ESA. Peu après 15h, c’était le « feu vert météo pour le remplissage des réservoirs ».
Le détail du déroulement des opérations est disponible par ici.
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1 chance sur 2
Ce premier lancement est crucial, mais il y a une chance sur deux pour qu’il soit un succès, de l’aveu même de Josef Aschbacher (directeur de l’ESA), comme le rapporte SpaceNews : « Statistiquement, il y a 47 % de chance que le premier vol ne réussisse pas ou ne se déroule exactement comme prévu […] Nous ferons tout ce que nous pouvons pour que ce soit une réussite, mais je pense que c’est quelque chose que nous devons garder à l’esprit ».
Selon le directeur du transport spatial de l'ESA (Toni Tolker-Nielsen), l’Europe « peut faire mieux avec Ariane 6 ». Pour le directeur des opérations et son adjoint, « la tension est forte à tous les niveaux puisque la culture en Europe n'est pas celle de l'échec, comme avec Space X. Nous, on veut réussir du premier coup. Il faut que cela réussisse », expliquent-ils à FranceGuyanne.
Réponse dans quelques heures. L'ESA propose une retransmission en direct.
Suivre le lancement en direct… avec déjà un retard d’une heure
L’ESA vient d’annoncer que, « dans le cadre des opérations standards de préparation d'Ariane 6 après le retrait du portique mobile, les contrôles de routine des équipements du segment sol ont révélé un problème mineur sur un système d'acquisition de mesures ».
L’Agence ajoute que le problème « est désormais résolu », mais cela a une incidence : « Le décollage est désormais prévu au plus tôt à 20h00 BST ou 21h00 CEST », soit 21h heure de Paris.