Vie privée contre efficacité: la difficile équation d'Apple pour intégrer ...
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En dévoilant sa version de l’IA, Apple a mis en avant un message différent de la concurrence: Apple Intelligence veut être utile et personnel plutôt qu’artificiel et "waouh". Un pari de vulgarisation aussi audacieux que risqué.
C’est désormais un acteur à prendre officiellement en compte. Apple s’est lancé dans la bataille de l’intelligence artificielle, mais à sa façon. Après le premier coup de feu initié par Microsoft, Open AI et Google, Tim Cook et les siens ont laissé passer l’orage, attendu que le terrain se défriche du superficiel et des pots cassés pour venir présenter leur solution. Elle se nomme Apple Intelligence et, rien que dans son nom, annonce déjà la vision qui l’animera.
Car Apple n’a pas voulu faire d’effet de manche ou d’annonce "waouh" pour sa grande intronisation lors de la keynote d’ouverture de la conférence WWDC des développeurs, à l’Apple Park. Pas de fonction qui laisse pantois, pas de nouveauté révolutionnaire qui mette la concurrence à mal. Ce n’est de toute façon pas ainsi que le patron des lieux l’a présentée. Apple Intelligence se veut “puissante, sécurisée, utile et surtout personnelle”. Quatre mots pour tout résumer et une feuille de route déployée bien plus finaude qu’on ne le croit.
Pas d’effet "waouh" recherché
Il est d’ailleurs amusant à noter que la notion d’“artificielle” a totalement disparu. Si l’on a entendu une fois “intelligence artificielle” durant les 45 minutes de présentation consacrées, c’est bien tout. Comme toujours chez Apple: ce sont les autres qui le disent — journalistes comme observateurs, pas eux. En coulisse, on acquiesce et l’on sourit lorsque l’on demande si c’est parce que l’artificiel n’a pas sa place chez Apple.
Ce dernier l’a d’ailleurs remplacé par… Apple dans le terme. C’est l’intelligence de votre produit Apple à votre service. Juste ce qu’il faut pour remplacer les désormais sacro-saintes lettres du terme par les siennes (AI). Un plan de communication rondement mené qui en dit long surtout sur les velléités de vulgariser le tout pour être compréhensible par le plus grand nombre.
Car cette IA, dont les modèles de langage génératifs ont tous été conçus en interne, veut tout faire pour que l’utilisation de l’iPhone, l’iPad ou le Mac qui en seront dotés soit la plus naturelle et la plus évidente possible, ancrée dans le quotidien. Et Apple de répéter qu’elle sera optimisée pour nous comprendre, nous épauler dans la rédaction/correction de messages comme la retouche photo ou la transcription, la compréhension de ce dont on a besoin. Des usages standards en somme. Vos interrogations sur la vie, la cuisine, la leçon du petit, ce sera pour d’autres.
De ce qu’Apple Intelligence a dévoilé, rien n’était d'ailleurs inédit dans les usages. Apple a fait du Apple en rendant cela compréhensible par n’importe qui, intégré directement pour que l’usage soit à portée de clic. C’est déjà une prouesse en soi que d’être capable de vulgariser l’IA au point d’en perdre ce dont beaucoup ont fait un argument de vente: un langage que les béotiens ne peuvent comprendre et qui donne l’impression de flotter au-dessus des masses prêtes à les rejoindre, donc d’être important.
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Apple veut une IA simple et utile. Elle doit l’être dans le langage. Jamais, la marque pourtant habituée à vanter les valeurs de calculs de ses puces, n’a parlé de tokens par centaines de milliers pour donner l’impression d’une surpuissance aux résultats incroyables. Dans les faits, on sait que le plus ne veut pas dire le plus efficace en IA.
À la place, Apple a remis au goût du jour Siri, désormais dopé à l’IA générative, pour mieux comprendre l'utilisateur et interagir le plus naturellement possible en prenant bien plus en compte les données stockées sur son appareil.
La sécurité des données, l’argument coup de poing
Car là où Apple veut aussi se démarquer par rapport aux autres IA génératives, c’est dans son approche sur la confidentialité et la sécurité des données. Et en cela, Apple ne pouvait pas se risquer à s’amouracher un peu trop d’OpenAI sans garde-fou. L’entreprise a d’ailleurs mis en garde le papa de ChatGPT sur ce sujet, mais aussi les utilisateurs.
Si l'utilisateur d'iPhone est prêt à partager ses données avec ChatGPT pour avoir des réponses plus personnelles, il le fera en toute connaissance de cause et avec validation. Mais Open AI doit assurer la sécurisation des données et ne pas les garder pour son usage personnel d’entraînement.
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Il en sera ainsi pour les autres briques d’IA générative spécialisée qui s’ajouteront au fil du temps. Apple étudie la question pour ajouter progressivement des modèles de langage sur des points précis (santé, loisir, compréhension, traitement d’infos…). C’est aussi pour ça que Google Gemini n’a pas été écarté et devrait très prochainement être embarqué dans l’aventure.
Pour l'heure, difficile de savoir quand Apple Intelligence prendra sa véritable vitesse de croisière; sans doute courant 2025. L’IA d’Apple ne sera accessible aux développeurs qu’à l’été et donc non disponible dans la phase bêta d’iOS 18, iPadOS 18 ou macOS Sequoia déployées en juillet.
Il faudra attendre les versions définitives à l’automne pour avoir un premier aperçu — en anglais et possiblement qu’aux États-Unis dans un premier temps, avec déjà le message préventif: “ce ne sera pas encore stable et il faudra encore attendre pour le déploiement définitif.” Qu’aurons-nous à nous mettre sous la dent? L’iPhone va-t-il devenir une arme encore plus intelligente? Nul ne le sait. C’est une vision qu’a donnée Apple, sa feuille de route. Et la route est encore longue…
Melinda Davan-Soulas