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«Anora» de Sean Baker et le Cendrillon masculin empêché

Anora de Sean Baker et le Cendrillon masculin empêché
Après la Palme d’or surprise du Festival de Cannes, tout le monde pourra enfin se faire son propre avis. Ce mercredi 30 octobre, « Anora », le film du cinéaste américain Sean Baker, sort dans les salles…

Après la Palme d’or surprise du Festival de Cannes, tout le monde pourra enfin se faire son propre avis. Ce mercredi 30 octobre, « Anora », le film du cinéaste américain Sean Baker, sort dans les salles en France.

Publié le : 30/10/2024 - 10:06

5 mn

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Est-ce la mise en image du récit d’une Cendrillon contemporaine ? Sean Baker, veut-il nous divertir en nous mettant en face d’une société américaine complètement pourrie et vouée à l’échec ? Ou s’agit-il simplement de l’aventure d’une jeune fille à la recherche de son identité, pour ne pas dire d’une histoire d’amour un peu maladroite ?

En tout cas, Sean Baker, né en 1971 à New York, représentant éminent du cinéma indépendant aux États-Unis, avait une raison tout à fait étonnante pourquoi il a organisé dans son film cette rencontre très pétillante et percutante entre Ani (magistralement interprétée par la jeune actrice Mikey Madison, 25 ans), stripteaseuse à New York, et Vanya, le fils gâté d’un milliardaire russe (et merveilleusement incarné par Mark Eydelshteyn).

« Eh bien, depuis plus de 15 ans, Karren Karagulian [l’acteur arménien fétiche de Baker qui joue dans le film le prêtre au service des mafieux russes, NDLR] et moi, nous voulions tous les deux raconter une histoire sur la communauté russe de Coney Island, de Brighton Beach, à New York. Le projet est parti de là. Au départ, le film devait être un film de gangsters où une jeune femme se marie avec un membre d’une famille de la mafia. Mais je ne connais pas très bien ce monde. Je me suis donc dit qu'il serait intéressant qu'elle se marie avec quelqu’un d’une famille aisée. Et comme il s'agit d'une communauté russe, il doit bien y avoir un fils d'oligarque russe qui traîne quelque part [rires]. De là est venue l'idée. »

« J'aime la comparaison avec Pretty Woman »

À l’arrivée, c’est devenu un remake moderne de Pretty Woman, avec la stripteaseuse très travailleuse, mais pauvre, qui tombe amoureuse de l’héritier du milliardaire russe, aussi beau et drôle que dégénéré. Même si Sean Baker se justifie de ne pas avoir pensé une seconde au film de Garry Marshall, devenu mythique grâce à Julia Roberts et Richard Gere :

« Je n'avais pas réalisé qu'il y avait des similitudes avec Pretty Woman, jusqu'à ce que je sois en post-production et que quelqu'un me le dise. Je n'ai pas vu le film depuis 1988, donc je ne sais pas s'il a eu une influence. Je pense que c'est juste mon interprétation de l'histoire de Cendrillon. C'est ma façon de voir cette histoire dans le monde où nous vivons. Elle se marie pour gagner de l'argent. De là viennent les similitudes. Mais j'aime la comparaison. »

[Vidéo] Sean Baker raconte « Anora »

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Festival de Cannes: la Palme d’or 2024 Sean Baker raconte « Anora ». © Siegfried Forster / RFI

Dans le film de Sean Baker, le personnage de Ani paraît plutôt prévisible. C’est l’histoire d’une jeune fille qui, malgré sa pauvreté et son statut de travailleuse de sexe, s’avère être émancipée et prête à se battre pour ses droits de femme et un avenir meilleur. Mais, en y regardant de plus près, il y a un côté incroyablement subversif dans Anora. Dans le scénario du cinéaste américain, être stripteaseuse et call-girl est une activité comme une autre pour s’en sortir. Ani est montrée consentante et même engagée et motivée pour faire son travail le mieux possible… Un milieu où il n’y a rien de plus naturel que de se réjouir des « suppléments » acquis en tant que call-girl.

L'anéantissement du romantisme

Baker nous amène dans un monde où on est très loin des condamnations du travail du sexe comme violence systémique du patriarcat contre les femmes. Dans Anora, la seule chose véritablement traitée comme condamnable, n'est ni le travail du sexe, ni l'origine criminelle de la richesse de l'oligarque, mais l’anéantissement du romantisme, comme le non-respect de la promesse de mariage du fils du milliardaire.

C’est là où entre le personnage d’Igor, campé par un Youri Borissov incarnant la force tranquille et introvertie du film. Censé être un « tueur » au service de la mafia russe, il s'avère être le plus gentil de tous. C’est lui qui va réconcilier Ani avec ses origines russes. Igor est une sorte de Cendrillon « masculine » empêchée, comme il en existe d’ailleurs dans plusieurs contes populaires russes… C’est un anti-héros tombé amoureux d’Ani, sans être en état de lui donner la vie dont elle rêve. Finalement, le plus grand enjeu du film consiste peut-être dans le fait comment Anora, qui, au début, se fait appeler « Ani », accepte son véritable prénom et devient Anora. C’est à ce moment-là que le film déploie sa force féerique : la vraie richesse ne réside plus dans l’argent, mais dans la prise de conscience de sa véritable identité :

« Le film parle vraiment d'identité, confirme Sean Baker, de la façon dont les gens se perçoivent et de la façon dont Anora se perçoit et qui elle choisit d'être. C'est ce qui fait presque partie de son travail, d'être différentes personnes. J'ai utilisé cela et j'ai également utilisé le fait qu'elle n'aime pas son vrai prénom, Anora, pour montrer l'évolution de son personnage. Elle est très éloignée de son héritage russe, mais à la fin du film, elle utilise son prénom Anora et se sent perçue comme Anora. C'est une façon de nous montrer l'évolution de la façon dont elle accepte ce qu'elle est. »

Ainsi, Sean Baker célèbre dans Anora l’insolence et l’intelligence des personnes rejetées et pauvres. Une issue aussi inespérée que la Palme d'or à Cannes.

Sean Baker, réalisateur américain de la Palme d'or 2024, « Anora ». © Siegfried FORSTER / RFI
Sean Baker, réalisateur américain de la Palme d'or 2024, « Anora ». © Siegfried FORSTER / RFI © Siegfried FORSTER / RFI

À lire aussiNotre entretien avec Sean Baker : « Anora est l'histoire de Cendrillon dans le monde où nous vivons »

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