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Test : Silent Hill 2 : une lumière dans les ténèbres

Test  Silent Hill 2  une lumière dans les ténèbres
Du haut de ces pyramides, deux décennies d'horreur vous contemplent

Difficile d'évoquer Silent Hill 2 sans glisser quelques mots sur la campagne marketing désastreuse de Konami, dont nous avions déjà causé en février dernier. L'éditeur japonais a cru bon de publier des vidéos de gameplay datant d'anciennes versions en cours de développement sans prévenir les joueurs, ni Bloober Team, apparemment ; d'où un premier contact maussade avec des animations fadasses, des jeux de lumière crus et des ennemis mollassons que l'on oserait pas glisser dans un shovelware roumain. Versez cette colossale erreur dans un shaker, ajoutez-y quelques pincées de fans déchaînés qui n'ont jamais vraiment touché à Silent Hill, et vous aurez un beau cocktail de polémiques à l'arrivée. Pourtant, loin de son image catastrophique, Bloober Team reste une jolie petite équipe d'artisans qui pèche souvent, certes, sur l'écriture, mais se foire rarement dans la réalisation visuelle. Avec l'artiste Masahiro Ito et le compositeur Akira Yamaoka en renfort, nous n'avions pas tellement de raisons de paniquer, ni de penser que l'original s'en retrouverait totalement souillé...

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé

Il se trouve que Silent Hill 2 a l'intelligence d'assumer pleinement sa condition de remake. Si vous reconnaîtrez facilement les séquences clé de l'aventure (l'hôpital de Brookhaven, les rencontres avec Eddie ou Angela...), notre brave James Sunderland découvre une Silent Hill étrangement familière et pourtant si différente : certains magasins se retrouvent clos, d'autres zones s'ouvrent à l'exploration... À l'instar de notre protagoniste, venu chercher son épouse décédée après avoir reçu une étrange lettre de sa part, nous avons la sensation de constamment pourchasser un souvenir vaporeux sans jamais pouvoir le saisir entre nos doigts. Bel exemple d'intégration ludonarrative. Oserions-nous même pousser l'intellectualisation jusqu'à affirmer qu'il s'agit là d'un excellent propos métatextuel sur la nature même d'un remake ?

Reprenons depuis le début. Nous incarnons James Sunderland, et notre épouse Mary a succombé à la maladie trois ans auparavant. Mais nous avons reçu une lettre qui nous demande de rejoindre notre défunte conjointe à Silent Hill, à notre « endroit spécial », comme si toute cette douleur n'avait été qu'un mauvais rêve... Que pourra-t-on véritablement trouver à Silent Hill ? Cette ville du midwest est pourtant abandonnée. De toute évidence, ses habitants ont disparu du jour au lendemain sans emporter la moindre affaire. On se promène dans les rues entre les sacs poubelle pleins à craquer, les vitrines poussiéreuses, les lavomatiques bourrés de fringues saturées d'humidité et les devantures lézardées de fissures. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

Pyramid ? Non, pyragood

À l'époque, Silent Hill 2 a remporté l'adhésion du public pour deux raisons majeures : son sens aigu de l'onirisme, et les contraintes techniques qui renforcent justement cette sensation d'irréalité avec des visages non pas inexpressifs, mais difficilement déchiffrables, quasiment inhumains - autant déformés par la souffrance que par le faible nombre de polygones disponibles. Durant son périple moderne, James rencontre les mêmes figures iconiques qu'à l'époque : Angela et ses tendances suicidaires ; Eddie et son inconfort perpétuel ; la jeune Laura perdue entre les ruines ; enfin, Maria, tentatrice biblique qui ressemble trait pour trait à Mary.

Bloober Team a compris que ces personnages étaient plus forts que tout. Si l'ancien James Sunderland se démarquait principalement par son perpétuel air hagard, le nouveau James paraît surtout éreinté par la vie, complètement broyé par les événements, à bout de souffle émotionnel. L'acteur Luke Roberts livre une performance vocale particulièrement réaliste, ponctuée d'hésitations et de bégaiements qui donnent à James une vraie consistance sans jamais trop en dévoiler sur le fond de sa pensée. Ce rôle est tenu par l'animation faciale. Restez attentifs, et vous verrez régulièrement des micro-émotions traverser le visage de James. Un tremblement de lèvres, un regard furtif sur le côté ou bien un rictus plein de malaise qui finit par s'écrouler en moue déconfite. Oui, la performance est magistrale. S'il existe nécessairement quelques différences d'interprétation majeures dans ce nouveau paradigme, cette relecture de James Sunderland est tout à fait appropriée, donnant un nouveau regard sur ce protagoniste bien atypique.

Tu vois Eddie, c'est ça, ton problème... cette lueur pâle sur ton visage

D'ailleurs, les autres membres du casting ne sont pas en reste. On pourra notamment citer Maria, qui reste toujours aussi indéchiffrable et aguicheuse, qu'importe la disparition de son crop top. De tous les personnages, Angela est sans doute celle qui a le moins changé vocalement puisque sa diction globalement monotone rappelle les froides journées de novembre 2001 dans un parfait détachement du monde réel. Mais il faut aussi saluer Eddie qui se voit assez bien réinventé pour devenir carrément inquiétant, ainsi qu'aperçu dans les différentes bandes-annonces, avec un regard bleu perçant qui déstabilise.

Un bon coup de polish

Quant à savoir si l'ambiance reste aussi forte, nous devons concéder que Silent Hill 2 se révèle moins solide que son prédécesseur sur la distance : ses coups d'éclat sont entrecoupés de séquences plus banales où le photoréalisme de l'Unreal Engine 5 dessert parfois l'ambiance recherchée par Bloober Team (même si le filtre optionnel qui retrouve la colorimétrie des années 2000 aide un peu à renouer avec l'onirisme originel). On pourra notamment citer la prison de Toluca Lake et son infernal labyrinthe qui pèchent un peu, notamment car il ne suffit pas d'éteindre la lumière pour nous mettre la pétoche - à trop se reposer sur des ambiances ténébreuses, cette phase du jeu finit par agacer. Nous avons tant plissé les yeux à certains moments que nous avons développé plusieurs muscles inédits au coin des paupières. Ce n'est pas flippant, juste agaçant. Heureusement, les phases suivantes reviennent à l'équilibre.

Cette faute de goût n'est pas représentative du travail accompli dans certains environnements qui jouent à fond la carte de l'horreur liminale pour accentuer l'étrangeté totale de Silent Hill 2. Si nous poursuivons un souvenir évanescent à travers James Sunderland, nous cherchons aussi, quasiment par instinct, la vie humaine qui s'est évaporée en laissant beaucoup trop de traces pour nous laisser indifférents. Je pense notamment à cette séquence troublante, de nuit, où une rue vide est éclairée par deux feux rouges qui se balancent sur leurs câbles. Un tableau naturaliste inquiétant. Cette sensation de vide est souvent soutenue par la musique, ou plutôt l'absence de musique - quand tombe un silence de plomb, l'angoisse monte, de crainte que l'horreur ne surgisse soudainement. Mais non, Bloober Team reste sobre et nous épargne les jumpscares traditionnels du genre. Merci la Pologne.

Les points de sauvegarde émettent une inquiétante lueur rouge pour notre plus grand plaisir.

Sur PlayStation 5, l'optimisation technique n'est pas toujours réussie. Et cela commence dès les toutes premières minutes puisque notre petite balade en forêt pré-urbanisme patine dans la semoule, même avec le mode « performances » activé. Orienter la caméra de gauche à droite n'est pas exactement fluide et les 60 images par seconde ne sont pas toujours conservées. Impossible, cependant, d'évaluer la version PC car Konami n'a pas souhaité nous transmettre un code, ce qui suscite une légère inquiétude quant à son optimisation day one, surtout que notre précédent aperçu avait également été mené sur une PlayStation 5. Malgré cet écueil, Bloober Team arrive parfois à impressionner grâce à une utilisation intelligente du brouillard, notamment lors de phases très venteuses où les déchets s'envolent de manière chaotique. Un œil attentif verra les objets disparaître dès qu'ils touchent le sol mais cette petite astuce est un faible prix à payer pour la mise en scène. Les temps de chargement restent très corrects pour la génération actuelle.

La colline a du mieux

Tous ces paragraphes sans aborder la moindre bribe de gameplay, c'est quasiment un exploit pour un site vidéoludique, mais Silent Hill 2 s'est d'abord fait connaître pour son ambiance particulière, pas vraiment pour la qualité de ses affrontements qui flirtaient sans honte avec le médiocre. Non, avoir un protagoniste lourdaud qui vise au jugé, ce n'était pas « une excellente idée de conception pour nous faire ressentir toute son inadéquation », c'était d'abord un gros boulet à la cheville qui rend l'aventure plus pénible que nécessaire. Il se trouve que Silent Hill 2 a profondément retravaillé les attaques de mêlée. Il n'est plus possible de massacrer les ennemis à coups de planche ou de tuyau sans qu'ils ne réagissent : il faut maintenant guetter leur riposte et esquiver d'un petit mouvement, ce qui rend la bagarre plus dynamique, et donc, intéressante. Notez que le sound design touche la juste note avec des impacts brutaux dans la chair ou la porcelaine, ainsi que les cris d'effort de James, qui fracasse et piétine des crânes avec toute la grâce d'un quadragénaire dépressif qui refuse d'aller voir un psychiatre compétent.

Certains hommes consultent un thérapeute, d'autres vont tabasser des silhouettes ensanglantées dans une ville ressemblant étrangement au Purgatoire. Chacun sa méthode.

Mais le tableau s'assombrit dès que l'on parle balistique. Malgré les remarques partagées durant les previews, Bloober Team n'a pas amélioré les sensations du pistolet, toujours aussi mollasson. Pourtant, l'efficacité factuelle des flingues n'est plus à démontrer : tirer dans le genou des monstres les force à s'accroupir, ce qui permet de les tuer très facilement avec un ou deux coups de tuyau. De même, le fusil à pompe expédie à terre n'importe quelle mocheté et la carabine inflige des dégâts colossaux, à tel point que la difficulté s'avère triviale dans la majorité des combats. C'est un gros point faible de Silent Hill 2. Alors que l'original n'hésitait pas à venir nous tirer la peau du cou, Bloober Team offre tellement de soins et de munitions dans le remake que l'on penserait jouer Leon S. Kennedy en pleine opération Resident Evil 4. Cette facilité excessive s'étend aux puzzles (en difficulté normale tout du moins), qui demandent parfois de récupérer une pièce située dans la salle d'à côté, ou de simplement lire des chiffres écrits en majuscules dans un document quelconque pour obtenir un code. Si la balade reste plutôt angoissante, le flippomètre atteint rarement la zone rouge, justement parce que l'on se sent plutôt en sécurité, sans gros défi pour nos méninges ou nos biscotos.

Si les combats de boss étaient assez imparfaits dans l'original, comme les affreux Flesh Lips de l'hôpital qui pouvaient vous exécuter d'un seul coup, Bloober Team brille avec ses idées neuves, qui revisitent chaque boss en profondeur pour offrir plusieurs phases à chaque affrontement. La mise en scène est totalement retravaillée, les arènes sont reconstruites, et c'est globalement moins pénible (voire excitant !) d'affronter ces horribles créatures psychosexuelles au fil de notre progression, bien qu'il reste un petit côté « éponge à dégâts » compensé par l'abondance de munitions en mode normal.

Inouï et brouillard

Notre progression est toujours encadrée par la musique d'Akira Yamaoka, qui revisite ses anciennes partitions avec un plaisir évident. Sa nouvelle orchestration de Promise est une excellente modernisation, tandis que la version rafraîchie de Theme of Laura nous a moins convaincus ; outre ces deux pistes iconiques, Silent Hill 2 est toujours bercé d'enivrantes nappes sonores, dont les textures n'ont absolument pas changé depuis la PlayStation 2. On retrouve exactement la même étrangeté éthérée que dans le jeu d'origine, ou au lancement de la console, d'ailleurs ; vous savez, ces espèces de soupirs électroniques planants qui appartiennent sans aucun doute au début des années 2000. Yamaoka contraste ces ambiances avec des partitions beaucoup plus agressives, quasiment bruitistes, impliquant souvent beaucoup de métal rouillé et des percussions non-orthodoxes, voire des hurlements. D'où un silence encore plus déroutant lorsqu'il vient enserrer l'univers. En complément, le sound design se montre particulièrement redoutable lorsqu'il s'agit de nous faire craindre une menace invisible dans le noir, avec d'infects grouillements de pattes ou d'inquiétants raclements sur le sol.

L'aventure principale dure une bonne quinzaine d'heures si vous prenez le temps de farfouiller dans tous les recoins et de vous immerger dans l'atmosphère si particulière de Silent Hill 2. Comme à l'époque, notre performance finale est notée avec une série de statistiques diverses et variées. Bloober Team nous encourage tout de suite à lancer le mode New Game+ pour aller trouver les huit fins différentes (nous attendrons un guide pour toutes les obtenir) et récupérer les items exclusifs. Il est bon de voir que le studio polonais conserve cette vieille tradition du jeu d'horreur ultra-rejouable avec un système de scoring légèrement absurde, car cette approche a sans doute participé à la légende du titre, vu qu'il faut s'arracher les doigts en difficulté supérieur pour obtenir une note maximale à la fin de notre partie. Voilà de quoi nourrir les plus courageux.

Accordons enfin un paragraphe aux nombreuses options d'accessibilité proposées par Bloober Team dans Silent Hill 2. Au lancement, le studio nous encourage à ajuster notre expérience selon nos moindres désirs, entre plusieurs modes pour daltoniens ou des ajustements au niveau de l'interface. Par exemple, vous pourrez choisir d'avoir un gros réticule, ou alors rien du tout ; des gros boutons d'interaction ou le néant complet ; un mode « contraste » qui illumine les différents éléments importants à l'écran ; enfin des indicateurs visuels pour remplacer le grésillement intempestif de la radio. À défaut de savoir détrôner l'original, cette version de Silent Hill 2 est, de bien des manières, la plus accessible.

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