Pour la Saint-Valentin, offrez des fleurs françaises... à déguster
Paris, reportage
Pas de fleurs fraîches dans la vitrine. Pas de composition florale flamboyante ni de fougères, d’orchidées, ou autres feuillages qui dégringolent du mur. Pas de bouquets composés avec des plantes venues du bout de la planète. La boutique de Fleurivore n’a rien d’un fleuriste classique. Ce n’est d’ailleurs pas ici qu’on viendra acheter des roses pour la Saint-Valentin. « C’est un peu vieux jeu la Saint-Valentin, non ? » s’amuse Blanche Piat, la cofondatrice.
Nous sommes à Paris, dans une petite rue du 10ᵉ arrondissement, à côté de la gare du Nord. Un atelier au sol carrelé d’un damier noir et blanc. Un canapé vert d’eau pour accueillir les clients. Et des dizaines de cartons pliés qui attendent l’expédition des commandes. C’est ici que Blanche Piat a lancé Fleurivore, avec son amie Amandine Vanhaecke.
Leur concept : vendre des fleurs comestibles, produites en France et sans pesticides. Pour les goûter, il faut descendre dans une cave bien fraîche aux murs d’un bleu passé. Blanche Piat nous donne une jolie fleur blanche au petit goût de camembert. C’est un ail de Naples.
Elle a aussi des tulipes, dont on mangeait les tubercules pendant la guerre, des œillets communs, ou encore des statis. « C’est comestible, mais la texture papier n’est pas très agréable », précise la fleuriste.
Sur sa grande table de travail, des restes de tiges et de boules jaunes de mimosa provenant des bouquets composés ce matin. « Je ne peux pas vous montrer plus, car j’ai été dévalisée aujourd’hui », s’exclame la jeune femme au rire communicatif.
Elle travaille en circuit court, avec très peu de stock. « Chez un fleuriste classique, pour donner envie, il faut avoir un peu de tout, mais on ne sait jamais ce qu’on va vendre. Entre les fleurs qui s’abîment parce qu’elles ont eu trop chaud et celles qui ne sont pas achetées, il faut compter entre 25 et 30 % de perte », estime-t-elle.
150 variétés comestibles en France
L’histoire de Fleurivore commence en mai 2018. Les deux amies travaillaient dans une agence de publicité pour des marques avec lesquelles elles n’étaient pas toujours en accord éthiquement. « J’avais envie de monter ma boîte. On a eu cette idée de fleurs comestibles, dans le cadre de ce que j’appellerais une respiration créative », s’amuse Blanche Piat.
Le duo se lance alors dans une formation accélérée, notamment auprès de François Couplan, un ethnobotaniste d’expérience. « C’est l’homme qui s’y connaît le plus en France sur la botanique comestible. Nous l’avons suivi dans ses balades dans la forêt. Nous avons appris à reconnaître les plantes puis à les cuisiner », raconte-t-elle.
« J’ai trouvé leur projet chouette, car il donne envie de s’intéresser aux plantes et c’est très positif, témoigne François Couplan. Cela permet de faire prendre conscience aux gens qu’autour d’eux, il y a énormément de plantes intéressantes d’un point de vue nutritionnel, gustatif. »
« En France, il y aurait environ 150 fleurs comestibles. En Italie ou en Asie, c’est bien plus. Nous avons perdu beaucoup de connaissances au sujet de la phytothérapie en même temps que nous avons perdu le contact avec la nature », renchérit Blanche Piat.
Après l’étape formation, il a fallu partir à la cueillette de productrices et producteurs. Une belle galère pour les deux femmes, qui ont écumé internet, contacté des centres agricoles, bourlingué à travers les campagnes de tout le pays. Bilan de leur récolte : une quinzaine de fournisseurs dans toute la France.
Pourquoi si peu ? « On est capricieuses. On veut des fleurs sans traitement, qui ne poussent pas dans des serres chauffées. On aimerait trouver plus de gens, sauf que ce n’est pas si simple. Au point qu’on a envisagé de devenir productrices, même si c’est un tout autre métier », regrette Blanche Piat.
Reste ensuite à acheminer les fleurs jusqu’à Paris. Là encore, ce n’est pas une mince affaire. Les deux femmes ont même songé à un transport en train, avant d’abandonner l’idée face à la complexité administrative et financière. Les plantes arrivent donc en camion. « On s’est demandé s’il ne valait pas mieux travailler avec la Hollande, plus proche géographiquement de Paris que certaines régions françaises, se souvient la fleuriste. Mais l’empreinte carbone n’était pas meilleure, car les fleurs sont produites sous de grandes serres chauffées et on ne sait pas quel traitement elles subissent. »
Sur le marché, des fleurs dont on ignore parfois la provenance
En France, 85 % des fleurs coupées viennent de l’étranger et sont cultivées dans des conditions écologiques déplorables.
Les Pays-Bas, premier exportateur mondial, sont notre principal fournisseur. Sauf que les fleurs ne sont pas toutes produites dans le plat pays. Les trois quarts de ses importations proviennent du Kenya, de l’Éthiopie, d’Équateur, de Colombie ou du Costa Rica.
Ces fleurs bourrées de pesticides, qui poussent dans des serres chauffées sans respecter aucune saisonnalité, se retrouvent sur les étals sans qu’on puisse en connaître l’origine. Pourtant, depuis juin 2023, il est obligatoire d’afficher leur provenance. Une mesure rarement appliquée. « Les fleuristes n’ont pas forcément intérêt à le faire et c’est souvent très compliqué de remonter la chaîne pour déterminer d’où vient la marchandise », précise Blanche Piat.
« Les gens voient moins l’impact des fleurs sur leur santé que celui de la nourriture »
Avec une dizaine de producteurs qu’elles connaissent personnellement, les deux associées peuvent, elles, raconter l’histoire de chaque plante livrée au gré des récoltes et des saisons « Parfois, il a fait trop froid, ou trop chaud et on se retrouve sans rien. Ce n’est pas une denrée stable, mais un produit exceptionnel et rare. Nous devons anticiper. Je ne peux pas livrer 400 bouquets en deux jours en plein hiver. Nous sommes flexibles dans la limite de ce que nous offre la nature », poursuit la fleuriste.
Elle doit également se plier aux aléas de ses producteurs, comme Midi Flore, une entreprise d’horticulture située à Hyères (Var), qui existe depuis 1987. Au départ spécialisée dans les herbes aromatiques, elle a élargi sa production aux fleurs, pour répondre notamment à la demande de restaurateurs.
Une culture qui n’est pas forcément facile. « Pour la restauration, je ne coupe que la fleur, je peux donc en récolter un peu tous les matins. Mais si je vends à Fleurivore, je dois couper avec la tige et c’est fini, je n’ai qu’une seule récolte par an. Leur idée est très bonne, mais c’est compliqué à produire », reconnaît Sylvie, de Midi Flore.
Comme pour d’autres secteurs de l’agriculture, l’horticulture subit aussi la concurrence étrangère. « Par exemple, une barquette de pensées qui arrivent d’Espagne coûte 1,80 euro, et est traitée. Chez nous, c’est 3 euros... Autant vous dire que les acheteurs privilégient le prix. C’est difficile de bien gagner sa vie », poursuit Sylvie.
De fait, le prix des fleurs a été multiplié par deux au cours des six ans d’activité de Fleurivore. Est-ce pour cela que les deux femmes sont les seules à proposer des bouquets comestibles en France ? Blanche Piat pense que c’est d’abord un problème d’offre : les horticulteurs sont peu incités à faire des efforts pour réduire les pesticides. « Les gens voient moins l’impact [des fleurs] sur leur santé que celui de la nourriture. Pourtant, une fleur couverte de pesticides, on la touche et on inhale le produit », développe-t-elle.
Si vous souhaitez manger des fleurs, ne croquez donc pas dans le bouquet acheté au fleuriste du coin. Pour les œillets comme pour les navets, l’adage reste le même : mieux vaut acheter sans pesticides, local et de saison.
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