Prix Nobel de littérature : Annie Ernaux en cinq livres
Huit ans après Patrick Modiano, un écrivain français est donc à nouveau honoré par le prix Nobel de littérature. En l'occurrence, une écrivaine… puisqu'il s'agit d'Annie Ernaux. C'est l'occasion de découvrir ou de redécouvrir l'œuvre de cette romancière singulière dont l'académie Nobel a souligné qu'elle était « marquée par les injustices sociales, de genre et de classe ».
Annie Ernaux vise, depuis son premier livre paru en 1974, à abattre les frontières entre littérature et réel. À cette fin, elle développe une « écriture blanche », selon ses propres termes, plus proche de l'univers de l'anthropologie ou de la sociologie que du roman classique. Un style unique, qui porte la voix des femmes de sa génération et touche tous les publics. Notre sélection parmi ses meilleurs romans.
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Les Armoires vides, 1974Ce premier roman, qu'elle écrit depuis 1972 et qui sera publié en 1974, raconte un avortement clandestin, très largement inspiré par celui qu'a subi l'autrice en 1964. Alors interdite en France, l'interruption volontaire de grossesse nourrira également un autre récit d'Annie Ernaux (L'Événement, paru en 2000), qui assumera alors son caractère autobiographique. Mais pour ce premier texte, l'écrivaine invente une narratrice, nommée Denise Lesur, qui raconte ses souvenirs d'enfance et l'aventure amoureuse qui l'a conduite à tomber enceinte. Ce livre, qui fait la part belle aux phrases nominales et au style parlé, pose d'emblée Ernaux comme la porte-parole des femmes de sa condition, comprenez ici d'un milieu « populaire ».
La Place, 1984Consacré par le prix Renaudot, ce récit est le premier succès de librairie d'Annie Ernaux. Elle y évoque la vie de son père, ancien ouvrier devenu petit commerçant dans cette fameuse épicerie d'Yvetot qui constituera le décor de plusieurs de ses ouvrages. La romancière, professeure agrégée de littérature, évoque l'arrachement douloureux qu'a constitué pour elle son ascension sociale. Elle y évoque, sans fard, les peurs qui restent les siennes : celle notamment d'être démasquée comme « transfuge de classe ». Elle confie ainsi : « Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide. Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. »
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Une femme, 1987Sorti un an après la mort de sa mère, cet ouvrage bouleversant évoque les derniers mois de celle-ci. Par-delà le cénotaphe littéraire, il livre aussi et surtout les différents visages de celle qui, devenue commerçante, était obsédée par l'idée de « tenir son rang » et d'aider sa fille à sortir de sa condition. Un rôle ambivalent puisqu'il pousse Annie Ernaux à rompre avec son milieu d'origine. « Je n'entendrai plus sa voix… J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue », écrit la romancière.
Passion simple, 1992« Je me demande si je n'écris pas pour savoir si les autres n'ont pas fait ou ressenti des choses identiques, sinon, pour qu'ils trouvent normal de les ressentir. Même, qu'ils les vivent à leur tour en oubliant qu'ils les ont lues quelque part un jour. » Cette citation, tirée du récit de la relation passionnelle qu'entretint la romancière avec un diplomate russe dans les années 1980, résume à elle seule le projet littéraire de l'autrice. Raconter, par-delà l'apparente confession impudique d'une aventure charnelle, les mécanismes d'emprise et de dépendance contenues dans certaines relations amoureuses addictives.
Les Années, 2008Couvrant six décennies d'histoire personnelle, cet ouvrage apparaît comme le chef-d'œuvre d'Annie Ernaux. L'écrivaine y synthétise un projet vieux de trente ans : celui d'écrire une vaste fresque sociale, une « autobiographie collective » résumant le parcours des femmes de sa génération à travers le sien propre.