Tour de France 2024 : au Pla d'Adet, Pogacar se défait avec vigueur ...

On ne sait pas si Tadej Pogacar a gagné le Tour 2024 dans les pentes du Pla d’Adet. Tout est encore possible : un grave coup de moins bien, une maladie, une chute, un ours surgissant au détour d’une route (on en a vu un aujourd’hui avant le Tourmalet, ou peut-être était-ce un homme barbu et ivre). Tout de même : grâce à sa victoire du jour, tactiquement très bien menée, le maillot jaune commence à être solidement collé à sa peau. Avant la deuxième étape pyrénéenne du week-end, le Slovène compte près de deux minutes d’avance sur Jonas Vingegaard.

A un peu moins de 5 km de l’arrivée, le leader d’UAE, qui avait passé la journée dans les roues de son adversaire pour lui mettre la pression dans leur jeu préféré de poker menteur, a placé une attaque imparable dans le col hors catégorie. Tout seul, comme à son habitude. A peine a-t-il eu besoin de s’appuyer sur son coéquipier Adam Yates qu’il avait envoyé à l’avant quelques minutes plus tôt. L’homme qui pourrait réaliser un doublé Giro-Tour inédit depuis Pantani en 1998 en a profité pour pulvériser le record de l’ascension du hors catégorie du jour, 27 minutes et 50 secondes, presque deux minutes plus vite que Jaskula et Rominger en 1993… C’est l’époque : 12 autres coureurs ont réalisé des temps de passages plus rapides qu’il y a trente ans aujourd’hui.

Cri de prédateur

Mercredi, au Lioran, Jonas Vingegaard avait su revenir et même l’emporter. Ce samedi, le Danois n’en a pas été capable et a concédé seconde après seconde. Les attitudes à l’arrivée ne trompaient pas. Tadej Pogacar s’est levé sur son vélo, a bandé les muscles et s’est frappé le torse. On a entendu son cri de joie à plusieurs vallées de là, réveillant les bergers de leur sieste et inquiétant les loups de sentir qu’il y avait prédateur plus dangereux qu’eux dans le coin. A l’inverse, Vingegaard dodelinait du casque, en signe d’impuissance. Encore plus blanc qu’à son habitude, il a franchi la ligne, tête baissée, le corps affaissé sur sa monture, donnant l’impression de vouloir disparaître avec elle. «C’est une bonne journée, ça devient un avantage important, mais on ne sait jamais», a jugé en premier lieu Tadej Pogacar, saluant le travail de son équipe. De son côté, le Danois a refusé de s’apitoyer : «Bien sûr, c’est toujours possible de gagner le Tour de France. Demain est un autre jour.»

Et les autres ? Quels autres ? Il y en a d’autres ? On plaisante. Dans un peloton où le Covid rôde et fait chaque jour des victimes (hier Ayuso, aujourd’hui Pidcock), le Belge Remco Evenepoel a limité les dégâts et s’affirme comme le principal candidat pour la troisième place.

En début d’après-midi, les valeureux étaient partis de Pau. Lorsqu’on s’éloigne de la ville de François Bayrou et que l’on plonge vers les Pyrénées, un frisson parcourt l’échine, qu’on ne ressent pas de la même manière dans les Alpes. La vallée se rétrécit petit à petit, les montagnes à la sombre hêtraie sapinière disparaissent dans le brouillard. Le chemin est avalé par la nature. Qui sait s’il en ressortira, et dans quel état ? Il faut être un peu fou ou croyant, on passe par Lourdes, pour s’y jeter à corps perdu, oser ouvrir la voie, et pourtant ils étaient nombreux à vouloir de ce joli rôle. L’échappée a mis une cinquantaine de kilomètres à se former. Plus d’une vingtaine de braves sont partis à l’avant. Les uns pour attraper les points du sprint intermédiaire (Girmay), les autres pour tourner les jambes en pensant aux JO (Van der Poel) et quelques-uns pour croire à la victoire finale (Healy). Ils ont conquis les lacets du Tourmalet, où les spectateurs remerciaient l’alcool de les réchauffer, puis se sont enfoncés dans la forêt ténébreuse de la Hourquette d’Ancizan.

Vieille pendule

Parmi ces zélotes osant espérer que l’ogre bicéphale UAE-Visma leur laisse une part du gâteau, David Gaudu (Groupama-FDJ). Le grimpeur français a abandonné depuis longtemps tout espoir au général. Il sait qu’il n’a pas les cartes pour lutter. Il rêve désormais d’une étape, comme un pis-aller. Un vœu pieux. Lui et les autres furent repris un par un jusqu’au dernier survivant, Ben Healy, mangé d’abord par Adam Yates puis par tous les cadors. L’Irlandais gigote sur son vélo comme une vieille pendule. Cela ne l’empêche pas de bien tourner les jambes depuis le début du Tour. Nul doute qu’on le reverra à l’avant.

Pour débriefer cette journée, en conférence de presse, tandis que les derniers passaient encore la ligne, Tadej Pogacar a paru étonnamment sincère. Frais comme une truite sortie à l’instant de la Neste, il s’est exprimé sur son duel avec Jonas Vingegaard : «Ce n’est pas une revanche [après le Lioran], a-t-il dit. C’est juste du vélo, ce n’est pas une guerre, c’est un jeu.» Il a ajouté, enveloppé dans un sourire, pour en cacher la portée : «Je suis certain que je ne peux pas maintenir ce niveau pendant encore des années. Donc j’en profite tant que ça dure.» A seulement 25 ans, le Slovène est déjà obsédé par sa propre fin. Ainsi vont les grands prédateurs, avant tout dévorés par eux-mêmes.