«Oussekine» : rencontre avec les interprètes de la série évènement
La nouvelle série de Disney+ revient sur la mort de l’étudiant de 22 ans, tué en 1986 par des policiers. La radiographie implacable d’une tragédie, servie par un casting 5 étoiles.
La série fera date. Après les États-Unis avec « Watchmen » et « The Underground Railroad », la France s’empare à son tour de son histoire peu glorieuse, trente-cinq ans après les faits, pour mieux s’y confronter. Afin de restituer le drame, son showrunner et réalisateur Antoine Chevrollier (« Le bureau des légendes » , « Baron noir » ) passe par le prisme de la chronique familiale et dresse un rapport accablant de l’ère Mitterrand. Si le propos est éminemment politique, « Oussekine » met d’abord en lumière une nouvelle génération d’acteurs. Un brillant casting qui joue pleinement la carte du collectif plutôt que l’individualisme forcené. Rencontre avec trois de ses membres ultra-concernés.
NAIDRA AYADI (FATNA OUSSEKINE) «J’aurais détesté trahir le souvenir de Malik»
Jupe cintrée et talons hauts, elle symbolise une émancipation typique des années 1980. Donner corps à l’aînée des sœurs du clan: enjeu de taille pour cette comédienne, pourtant aguerrie aux rôles sur le fil, meilleur espoir féminin des César 2012 pour sa prestation de flic dans «Polisse », de Maïwenn. «Autant j’ai adoré jouer le personnage “en creux” qu’est Fatna, autant j’aurais détesté trahir son souvenir. » L’actrice-réalisatrice, qu’on a aussi pu voir au théâtre («Justice», mis en scène par Salomé Lelouch), dans la série de Zabou Breitman («Paris, etc.») ou dans le film de Lucien Jean-Baptiste (« Il a déjà tes yeux»), porte un regard affûté sur le drame et ses répercussions.
« Mon premier souvenir de l’affaire Oussekine, c’est son procès lorsque j’avais 8 ans. Je me revois me dire que je n’étais pas comme les autres; je me rappelle aussi l’expression de résignation sur le visage de mes parents… Mon combat pour la justice vient certainement de là: plus tard, j’ai fait des études de droit en parallèle du théâtre. » Défendre pareille fiction dans le contexte actuel, autre démarche essentielle pour l’actrice? «Clairement!» s’exclame-t-elle, au même titre que les autres comédiens du drame. «“Oussekine”, c’est le portrait d’une fratrie qui ne correspond pas à certains clichés : des gens qui réussissent, cultivés, qui ont les codes… et qui à un moment donné se voient dépossédés de leur identité de Français “comme les autres”.» Le propos reste hélas encore trop d’actualité.
MOUNA SOUALEM(SARAH OUSSEKINE) «Son nom s’est perdu pour ma génération»
Même puissance, même fougue que son personnage: la fille du comédien Zinedine Soualem et de l’actrice franco-palestienne Hiam Abbass (qui joue ici Aïcha, la mère de la fratrie) s’offre un rôle sur mesure, celui de l’opiniâtre sœur cadette de Malik. Habituée des planches et du grand écran («Tu mérites un amour », de Hafsia Herzi), Mouna Soualem débute à l’âge de 10 ans devant la caméra de Steven Spielberg («Munich»), s’exporte au théâtre à New York. «Oussekine» est sa première série. Leitmotiv de l’actrice: «Ne rien trahir de la souffrance, de la colère. » Pilier de la famille, confidente de son frère, Sarah protège sa mère autant qu’elle tance Georges Kiejman (Kad Merad), proche de l’Élysée et avocat du clan… Y compris lorsque la déferlante médiatique s’abat, suivie de près par une parodie de procès, celui des «voltigeurs», brigade motorisée à l’origine du matraquage.
«Oussekine» appuie décidément là où ça fait mal, en dressant le portrait d’un racisme banalisé, grossièrement maquillé par le slogan d’alors «Touche pas à mon pote»… Climat rance que Mouna dénonce ouvertement: «Lorsque Malik meurt, chacun de ses frères et sœurs comprend que, dans ce pays dans lequel ils sont nés, ils seront toujours vus comme des citoyens de seconde zone.» L’éclairage intimiste d’«Oussekine» prend alors tout son sens pour l’interprète de 28 ans: «Le nom de Malik s’est perdu pour les gens de ma génération. Le prisme proposé ici permet une vision inédite des événements. Quand j’évoque cette série autour de moi, je demande souvent: “Malik Oussekine, ça te dit quelque chose?” La question ne devrait même plus se poser.»
SAYYID EL ALAMI (MALIK OUSSEKINE) «Le destin brisé d’un jeune mec bardé de rêves»
Quelques passages éclairs à l’écran («Zombi Child » de Bertrand Bonello en 2019, la série de Netflix «Messiah») et le voilà qui tient son premier immense rôle… Sayyid El Alami, 24 ans, campe un Malik Oussekine candide qui virevolte entre ses racines algériennes et sa vie d’étudiant parisien. La partition le rend fier: «Je me rends tout juste compte de la place qu’il occupe dans l’inconscient collectif. » Nous sommes en 1986, Carte de séjour chante «Douce France », et dans quelques semaines un grand soulèvement contestataire s’opposera au projet de loi Devaquet. Antoine Chevrollier, à 10 ans, avait découvert les circonstances de sa mort en écoutant les paroles d’un titre du groupe de rap Assassin. Sayyid, lui, connaissait l’emblématique nom depuis sa plus tendre enfance.
«Pour ma famille, habituée à manifester, l’affaire reste un exemple sans pareil de violence policière.» En témoignent les scènes insoutenables et pourtant nécessaires qui jalonnent les quatre épisodes. Vrai travail de mémoire que cette fiction, validée par les frères Mohamed et Ben Amar Oussekine (respectivement campés par Tewfik Jallab et Malek Lamraoui, formidables de justesse et de pudeur)… Sayyid confirme. «Je fais ce métier par empathie, pour rappeler qu’au début de chaque événement historique il y a d’abord de l’humain: ici, le destin brisé d’un jeune mec bardé d’envies et de rêves, et de sa famille confrontée à un deuil impossible.»