Oussekine : derrière la série, l’histoire vraie de Malik Oussekine, tué par des policiers en 1986
Pour sa nouvelle production française, Disney+ a choisi le jeune espoir français, Sayyid El Alami, 24 ans, pour interpréter Malik Oussekine. En quatre épisodes, la série réussit le pari de raconter l’histoire tragique et profondément injuste de ce jeune étudiant victime de violences policières. Une histoire qui, trente-six ans plus tard, résonne plus que jamais, alors que les affaires de violences policières sont toujours d’actualité.
« Oussekine » montre le combat admirable de la famille de l’étudiant, pendant trois ans, du 6 décembre 1986, jour de sa mort, jusqu’au procès de janvier 1990, pour obtenir la condamnation des coupables.
Malik Oussekine, un étudiant solitaire et passionné par la musiqueNé à Versailles en 1964, Malik était le benjamin des huit enfants de Miloud et Aïcha Oussekine, originaires d’Algérie et installés en France depuis les années 50. Son père a combattu au sain de l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pendant la guerre d’Algérie, les Oussekine vivent en banlieue parisienne. C’est d’ailleurs l’une des scènes fortes de la série : la participation de la famille aux manifestations du 17 octobre 1961, contre le couvre-feu imposé aux seuls « Français musulmans d’Algérie ». Un rassemblement réprimé par la police parisienne et qui se soldera par la mort de nombreux manifestants, passés à tabac par les forces de l’ordre, abattus par balle, ou jetés dans la Seine.
En 1986, Malik a 22 ans. Il vit dans un studio du 17e arrondissement de Paris et étudie à l’École supérieure des professions immobilières. Amateur d’arts, surtout de musique, et de sport, Malik surmonte depuis sa naissance des problèmes d’insuffisance rénale l’obligeant à être sous dialyse.
« Malik, c’était un solitaire, c’était pas un gros caractère. Il savait ce qu’il voulait. C’était un garçon qui avait une famille à laquelle il tenait », se souvient son cousin Dany Terbèche, dans un témoignage confié à « Brut » .
En tant qu’étudiant, en décembre 1986, il assiste comme spectateur aux mobilisations étudiantes contre le projet de loi de réforme de l’université porté par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Alain Devaquet. Le 4 décembre, la mobilisation atteint son paroxysme : des milliers de personnes sont dans les rues de la capitale pour crier « non » au projet du gouvernement. L’occupation de la Sorbonne se poursuit alors que s’amorce le week-end.
La mort de Malik Oussekine dans le hall d’un immeubleLe soir du vendredi 5 décembre 1986, Malik Oussekine se rend à un concert de jazz dans le quartier latin, à Paris. L’étudiant de 22 ans rentre chez lui vers minuit. Au même moment, le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et le ministre délégué à la sécurité, Robert Pandraud demandent aux policiers de disperser les manifestants rassemblés dans le quartier de la Sorbonne. Le second donne ordre aux policiers voltigeurs à moto d’intervenir et d’utiliser la force. En marchant, Malik croise des jeunes poursuivis par les forces de l’ordre puis se retrouve à son tour pris pour cible par des policiers qui le suivent dans la rue Monsieur-le-Prince, située dans le quartier de l’Odéon.
Après avoir aperçu un homme entrer dans un immeuble, l’étudiant frappe à la porte et le supplie de le laisser se réfugier dans le hall. Les policiers de la brigade volante ne sont qu’à quelques mètres de lui. Paul Bayzelon, fonctionnaire au ministère des Finances âgé de 26 ans, lui ouvre finalement la porte. Mais les policiers ont le temps de glisser leur matraque dans l’embrasure pour éviter qu’elle ne se referme. Tandis que l’un d’entre eux se place au niveau de l’entrée, deux autres s’introduisent dans l’immeuble. Ils prennent Malik pour cible et le frappent violemment, tandis qu’il tombe à terre. « Ils se sont précipités sur Malik, ils l’ont roué de coups de matraques et de coups de pied », témoigne le fonctionnaire présent sur place auprès des médias, dès le lendemain. Il affirme aussi que Malik suppliait les policiers en criant « Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait ». En essayant de s’interposer, l’habitant de l’immeuble se retrouve lui aussi frappé par les policiers.
Le SAMU arrive une dizaine de minutes après le départ des forces de l’ordre. Malik Oussekine est transporté en réanimation à l’hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement. Selon la première version donnée au lendemain de sa mort, il serait décédé à l’hôpital aux alentours de 3h20, moins de trois heures après les faits. Quelques jours plus tard, l’avocat de la famille Oussekine, Georges Kiejman (interprété dans la série par Kad Merad) révèle que Malik est décédé dans le hall de l’immeuble des coups de policiers.
La première version officielle voulait que Malik soit mort en raison de son insuffisance rénale. La seconde, confirmée par un médecin cité par Georges Kiejman, estime que ce sont les coups portés à Malik, dont un sévère au niveau de la tête, qui ont causé une crise cardiaque et son décès.
La nouvelle de la mort de Malik se répand dès le lendemain matin. Alors que l’État tente d’étouffer l’affaire, la mobilisation spontanée de la rue en fait une actualité nationale. Le même jour, une manifestation silencieuse rassemble des milliers de personnes entre la Sorbonne et la place d’Italie, venues dénoncer la violence policière et cet acte raciste injustifiable. Les hommages se multiplient également au pied de l’immeuble de la rue Monsieur-le-Prince, où est décédé Malik Oussekine.
Le dimanche, les propos de Robert Pandraud, le ministre de la Sécurité qui s’exprime dans « Le Monde », choquent le pays : « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con dans la nuit (…) Ce n’était pas le héros des étudiants français qu’on a dit. » En fin de journée, Alain Devaquet démissionne de son poste de ministre de l’Enseignement supérieur Le 8 décembre, le projet de loi de réforme des universités est retiré. L’unité des policiers voltigeurs est dissoute.
Le mercredi 10 décembre, des manifestations silencieuses sont organisées dans toute la France. 600.000 personnes défilent à Paris, selon les organisateurs, et 200.000 dans 36 autres villes françaises. Le même jour, Malik Oussekine est enterré au cimetière du Père-Lachaise. On apprendra quelques semaines après son décès, par sa sœur, que le jeune homme avait une bible dans son manteau et souhaitait devenir prêtre.
Le procès des deux policiers en 1990Plus de trois ans après les faits, le procès s’ouvre à la cour d’assises de Paris, en janvier 1990. Le brigadier-chef Jean Schmitt, 56 ans, et Christophe Garcia, 26 ans, sont jugés pour « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Les frères et sœurs de Malik sont présents, comme l’ensemble des témoins. « Le Monde » rapporte le témoignage du second policier voltigeur. L’accusé évoque ensuite un « échange de coups », avant d’être plus précis : « J’entre, je porte tout de suite quelques coups de bâton et je ressors », estimant que selon lui, Malik était « un casseur ».
L’avocat général requiert une peine de cinq ans de prison ferme. Après plusieurs jours d’audience, le verdict très clément est une énorme déception pour les parties civiles. Les deux policiers sont respectivement condamnés à cinq ans et deux ans avec sursis. Interrogée par les médias présents sur place, Sarah Oussekine, la sœur de Malik, partage sa consternation: « Je pense surtout à ma mère. Je vais rentrer et lui dire que les types qui ont tué Malik sont libres. Mais je pense à d’éventuelles manifestations qui pourraient arriver dans le futur. Qu’est-ce que ça vaut dire ? Ça veut dire que les flics peuvent tabasser et tuer n’importe qui ? »
En 2006, une plaque commémorative est placée devant le 20 rue Monsieur-le-Prince, où il est écrit : « À la mémoire de Malik Oussekine, étudiant âgé de 22 ans, frappé à mort lors de la manifestation du 6 décembre 1986. »
Depuis 1986, Malik Oussekine est devenu le symbole de la lutte contre les violences policières. Son prénom revient régulièrement dans la mémoire collective comme dans les œuvres culturelles. C’est notamment le morceau « L’État assassine » du groupe Assassin (« Personne d’entre nous ne veut finir comme Malik Oussekine »), qui a marqué le réalisateur de la série, Antoine Chevrollier, pendant son adolescence. Trente-six ans après son décès, le nom de Malik Oussekine n’est pas oublié : un film de Rachid Bouchareb « Nos Frangins », aussi consacré à cette affaire, sera projeté au Festival de Cannes.