Niger : derrière la colère, l'inquiétude croissante contre la menace ...
"A bas la France !" Des cris de colère, un drapeau tricolore brûlé par la foule et des jets de pierre contre les murs barbelés de l’ambassade française à Niamey, la capitale du Niger. Dimanche 30 juillet, cinq jours après le putsch du chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tiani, le rejet de l’ancienne puissance coloniale a de nouveau grondé au Sahel. Plusieurs milliers de soutiens au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la junte autoproclamée qui séquestre toujours le président élu Mohamed Bazoum, se sont rassemblés devant l’enceinte diplomatique avant d’être dispersés par des grenades lacrymogènes. Le symbole est fort dans ce pays, qui demeurait jusqu’ici l’un des derniers alliés de la France dans la région : des manifestants ont arraché la plaque de l’ambassade pour la remplacer par des drapeaux russe et nigérien. Dans un communiqué dans la nuit de dimanche, les putschistes ont encore durci le ton contre Paris, en l'accusant d'avoir "tiré des grenades lacrymogènes et fait usage de leurs armes" à l'ambassade et fait "six blessés". La junte a ensuite accusé la France d'avoir tenu "une réunion à l'Etat-major de la garde nationale", pour obtenir des autorisations en vue d'"effectuer des frappes au sein du palais présidentiel afin de libérer le président", Bazoum.
Le président français, Emmanuel Macron, "ne tolérera aucune attaque contre la France et ses intérêts" au Niger et Paris répliquera "de manière immédiate et intraitable", a rapidement réagi l’Elysée. Le Centre de crise du Quai d’Orsay déconseille aux ressortissants français tout déplacement dans la capitale, alors que de nouveaux rassemblements sont annoncés ce lundi. Samedi, à l’issue d’un conseil de défense convoqué par Emmanuel Macron, la France a décidé de suspendre son appui budgétaire au pays et exigé "le retour sans délai à l’ordre constitutionnel". Dans la foulée, l’Union européenne a annoncé l’arrêt immédiat de sa coopération dans le domaine sécuritaire, affirmant qu’elle "ne reconnaît pas et ne reconnaîtra pas" les autorités issues du putsch. Dimanche, les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), réunis dans la capitale du Nigeria voisin pour un sommet d’urgence, ont tapé encore plus fort, en donnant un ultimatum d’une semaine aux putschistes pour libérer et réinstaller Bazoum au pouvoir, affirmant ne pas exclure un "recours à la force".
La situation devient inflammable au Niger, alors que d’un côté, le camp de Bazoum fustige un "coup d’Etat pour convenance personnelle" et compte bien résister malgré le ralliement de l’armée aux putschistes, tandis que de l’autre, le général Tiani souffle sur les braises souverainistes, pour tenter de faire basculer la rue en sa faveur. La veille au soir, son porte-parole mettait en garde à la télévision nationale la population contre une "intervention militaire imminente" de la Cédéao à Niamey, menée, selon la junte, en collaboration avec des "pays africains non-membres" et "certains pays occidentaux". Quelques jours plus tôt, un autre communiqué accusait la France d’avoir enfreint la fermeture des frontières en faisant atterrir un avion militaire à l’aéroport de Niamey.
Dans la capitale, acquise à l’opposition politique, il n’en fallait pas plus pour galvaniser les manifestants qui sont sortis, malgré l’interdiction, à l’appel du "M62", une organisation de la société civile, dont les militants exigent, depuis plusieurs années, le départ des forces françaises du pays, où 1 500 soldats sont déployés dans le cadre de la lutte antiterroriste. "Vive la Russie", "Vive Poutine !", ont scandé certains, en brandissant des drapeaux russes, comme un pied de nez à l’Occident. Niamey, Bamako, Ouagadougou… Ces images sont devenues banales dans les capitales sahéliennes, où le rejet de la France progresse, certes instrumentalisé par les juntes pour se maintenir au pouvoir, mais qui est aussi et surtout l’expression d’un sentiment d’échec partagé par les populations face à la multiplication des attaques djihadistes dans la région, et ce malgré dix années d’opérations françaises au Sahel. "Beaucoup ne comprennent pas pourquoi cette grande puissance militaire mondiale ne parvient pas à endiguer la menace, certains veulent croire que la Russie sera plus efficace, dans un contexte de polarisation avec la guerre en Ukraine", estime Seidik Abba, journaliste nigérien et spécialiste de la crise au Sahel.
Prigojine en embuscadeL’opération Barkhane, l’aide au développement, "l’arrogance" des politiques français, le franc CFA… Au Niger, l’un des pays les plus pauvres au monde malgré ses sols riches en uranium, les critiques contre l’ancien pays colonisateur sont nombreuses, qu’elles soient fondées ou fantasmées. Après le Mali, secoué par deux putschs en 2020 et 2021, puis le Burkina Faso en 2022, cet énième coup de force au Niger illustre le revers de la stratégie occidentale dans la région. Le pays, situé à une position stratégique pour surveiller les mouvements djihadistes au cœur du Sahel, avait été choisi par la France pour devenir le "laboratoire" du nouveau dispositif français, après le retrait de ses troupes au Mali en 2022.
Alors que la Russie avance ses pions sur le continent africain, - le Burkina Faso s’est tourné vers Moscou et le Mali a fait appel aux mercenaires de Wagner -, le risque de perdre son partenaire nigérien est redouté par les Occidentaux. Et d’après la loi américaine, les Etats-Unis, qui y possèdent plusieurs bases et fournissent du renseignement aux Français, ne peuvent pas fournir d’aide sécuritaire aux gouvernements issus de coups d’Etat. En attendant, il semblerait que Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, n’ait lui pas perdu du temps. Dans un message présumé, qui n’a pas pu être entièrement authentifié par l’AFP, il tend déjà la main aux putschistes de Niamey, affirmant que leur coup "n’est rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre les colonisateurs". "Un millier de combattants de Wagner est en mesure d’instaurer l’ordre et de détruire les terroristes", clame-t-il, dans un message audio diffusé le 27 juillet sur Telegram.