JO 2024 Escrime. « Elle devait arrêter de tirer contre-nature » : le ...
Samedi 27 juillet, Auriane Mallo-Breton est devenue vice-championne olympique individuelle à l’épée. Pourtant, il y a quatre mois, la Lyonnaise était en proie au doute, pas sûre de participer aux Jeux olympiques et sans boussole sur la piste. Aux côtés de son coach de toujours, Rémy Delhomme, elle a décidé de tout changer ou presque. Un pari risqué. Malgré un léger contretemps à cause d’une blessure à la cheville, l’épéiste de 30 ans a remporté son pari en montant sur le podium sous la coupole du Grand Palais. Son maître d’armes et formateur retrace le processus qui l’a conduit à l’argent olympique.
Auriane est vice-championne olympique. Pourtant, il y a quatre mois, elle n’était même pas certaine d’aller aux Jeux…
J’étais allé la voir à Budapest, lors d’une manche de Coupe du monde au début du mois de mars. Elle était encore marquée par son échec aux Mondiaux de Milan, l’été précédent. Elle avait très mal démarré la saison olympique. Et en Hongrie, où elle perd à nouveau dès le début de la journée, je me suis aperçu que tactiquement, elle n’était pas dans le vrai. Qu’elle devait arrêter de tirer contre-nature.
C’est-à-dire ?
En escrime, si vous faites tout le temps la même chose, vous êtes vite catalogué. L’adversaire sait ce que vous allez mettre en place et c’est plus facile pour lui de s’adapter. Elle devait développer une tactique plus attentiste, avant d’aller, ensuite, vers une ouverture du jeu. Mais le temps était compté. Il ne restait que trois manches qualificatives pour se qualifier aux Jeux.
« Elle venait de passer six mois à perdre en tableau de 32 ou de 64 »
Le déclic a lieu rapidement ?
À ce moment-là, on ne se projette pas du tout vers un podium. Elle vient de passer six mois à perdre en tableau de 32 ou de 64. Elle sortait d’une bonne saison dernière donc elle était dans les seize meilleures. Ce qui veut dire qu’elle enchaînait très peu de matches. Dans un premier temps, l’idée était de viser un 8e de finale. Passer deux tours pour retrouver de la confiance. Rediriger les préparations. Ça ne veut pas dire tout le temps attaquer, mais ne pas subir l’escrime de l’autre.
Elle était trop offensive auparavant ?
Il y a une notion physique qui est importante. Pour tenir un jeu où l’on produit tout le temps face aux filles en face, cela demande beaucoup d’énergie. C’est pour cela que c’est dur d’aller jusqu’au bout. Même avant l’échec aux Mondiaux qui lui a fait beaucoup de mal, elle bloquait souvent en demies car elle arrivait à la limite lors des derniers matches. Alors qu’il faut réussir à faire mieux en finale qu’en tableau de 64.
Quels étaient les principes tactiques de cette nouvelle approche ?
Cacher son jeu au début, être attentiste et prendre le temps sur le premier tiers-temps. Commencer à ouvrir un peu sur le deuxième et puis au troisième tiers-temps, balancer la sauce. Saisir les opportunités dans le money time.
Quitte à aller à la mort subite, comme cela a été le cas au premier tour et en finale, samedi ?
Au début, je pense qu’elle a été prise par la pression. Le Grand Palais, le public. Et le petit problème de visibilité avec la lumière. Mais sa pause à 5-0 pour mettre son scotch lui a permis de souffler et se remettre les idées en place. Elle a commencé à vraiment bien tirer à partir de ce moment-là. Et le premier match détermine souvent la compétition qu’on va faire.
Elle aurait pu sortir au premier tour pourtant…
Tout n’était pas en place mais le mental était déjà là. Et ce sont les 10 ou 20 % qui vont faire la différence dans les touches décisives. Elle ne se perdait plus dans les atermoiements qui étaient les siens il y a quelques mois.
« Elle sortait d’un burn-out sportif »
Le déclic a donc été immédiat après Budapest ?
Elle a compris beaucoup de choses mais sa blessure a retardé le processus. Lors d’un stage de préparation avec l’équipe de France, sa cheville tourne. On lui prédit six semaines d’arrêt et elle doit déclarer forfait pour la manche de Coupe du monde à Nankin, en Chine (fin mars). Ça a été un coup dur mais salvateur car elle sortait d’une période où elle vivait quand même une espèce de burn-out sportif.
Six semaines plus tard, elle gagne pour son retour à Cali, en Coupe du monde…
Elle a récupéré en à peine quatre semaines. Elle était même prête pour les championnats de France par équipes, fin avril. J’ai passé des nuits sans dormir à réfléchir si je devais la convoquer ou pas avec Saint-Gratien. Mais même à 60 %, on s’est dit que c’était bien de retrouver la compétition car à l’entraînement, tout est facile. C’était un risque car si elle se reblesse à ce moment-là, elle ne va pas aux Jeux. Ce week-end là, elle tire mal mais on a encore deux semaines pour se préparer à Cali. Et deux semaines plus tard, elle gagne. La confiance revient et elle va aux Jeux. Elle avait gagné son contre-la-montre.
Elle arrive avec un nouveau statut pour l’épreuve par équipes.
Il faut faire attention à ne pas repartir avec l’idée qu’elle a un nouveau statut. Sur la piste, elle ne sera plus vice-championne olympique. Elle aura des Coréennes revanchardes qui ont loupé leur épreuve individuelle. Elle a coupé avec l’escrime depuis samedi pour se régénérer. Elle se connaît et sait ce qu’il faut mettre en place pour y arriver.
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Il n’y a pas un risque de décompression ?
Elle ne peut pas effacer les émotions qu’elle a vécues samedi. Il y a toujours ce risque d’arriver et de redémarrer tranquillement en se disant : « c’est bon, j’ai déjà quelque chose ». Mais je pense qu’elle saura l’éviter.
Cette médaille d’argent fait automatiquement d’elle la n°1 de l’équipe ?
Auriane a toujours été écoutée par les autres filles. Même après son titre mondial, Marie-Florence Candassamy n’a jamais voulu porter ce rôle de leader. Donc je ne suis pas sûr que cela lui donne plus de responsabilités. Tout dépendra aussi des sensations le matin. Ça ne veut pas dire forcément qu’elle sera la dernière relayeuse par exemple. Si elles vont chercher la médaille d’or, elles le feront collectivement.