Thèmes d'actualité fermer

« Révolution » : le délire historique de Netflix

 Révolution   le délire historique de Netflix
La nouvelle série de Netflix est une uchronie fantastique sur la Révolution française. Nous avons demandé à l'historien Charles-Éloi Vial de la visionner.
La nouvelle série de Netflix est une uchronie fantastique sur la Révolution française. Nous avons demandé à l'historien Charles-Éloi Vial de la visionner.

La critique aurait pu s'écrire avant le visionnage, tant les séries Netflix se ressemblent ces derniers mois : visuellement à couper le souffle, scénaristiquement en panne. La Révolution n'échappe pas à la règle, même si le spectateur français peut prendre un plaisir masochiste à voir l'histoire de France ainsi triturée et simplifiée, sans doute en vue de plaire au public américain. Pour l'historien, au moins Netflix a le mérite de résoudre un débat brûlant depuis plus de deux siècles sur les origines de la Révolution française en l'attribuant à une épidémie mystérieuse.

Société secrète, théorie du complot, maladie mortelle : le cahier des charges « 2020 » est respecté. Il s'agit peut-être d'une mode, mais la réinterprétation historique mettant en scène une dichotomie sociale réductrice plaquée sur un arrière-plan fantastique se retrouve aussi dans l'étonnant Orgueil, préjugés et zombies, libre réinterprétation de Jane Austen sortie en 2016, ou encore le plus pêchu Kingdom, autre série Netflix mêlant Corée médiévale et zombies. On pourrait aussi citer le roman d'Antoine de Baecque Les Talons rouges (Stock, 2017), qui réinterprétait la Révolution à la sauce vampirique.

Comme toutes les uchronies, mieux vaut la regarder sans chercher la petite bête. L'intrigue de La Révolution ne s'insinue par entre les pages de la grande Histoire comme le jeu vidéo Assassin's Creed Unity (Ubisoft, 2014), mais elle la démolit allègrement pour reconstruire une autre trame temporelle. L'ancrage de la saison 1 en 1787, année de la réunion de l'Assemblée des notables convoquée par Louis XVI pour tâcher de trouver de nouvelles sources de revenus pour l'État royal au bord de la faillite, situe en réalité la série dans un contexte prérévolutionnaire. Ici, pourtant, la monarchie est virtuellement absente. Pas de ministres, d'intendants ou de Parlement, comme si le pouvoir était aux mains d'une seule caste aristocratique cherchant à éliminer une masse populaire trop coûteuse à nourrir, et dont le bras armé serait une société secrète avec le roi à sa tête. Pas de traces non plus de la petite et grande bourgeoisie.

Lire aussi Qui était vraiment Louis XVI ?

Le traitement de la question sociale, entre des riches égoïstes et un peuple affamé, est bien sûr simpliste, mais il est de tout temps et correspond à l'imaginaire de 1789, 1830 et 1848, comme le montrait un récent ouvrage collectif (Révolutions françaises, Perrin, 2020). L'Ancien Régime est ici réduit à sa vision la plus caricaturale, avec un gentil peuple crasseux d'un côté et des nobles poudrés de l'autre. En cela, la série d'Aurélien Molas et de Gaïa Guasti ne se distingue pas des films ou séries plus « classiques », à commencer par Un peuple et son roi de Pierre Schoeller (2018). C'est la Révolution vue par Michelet, l'optimisme en moins et le fantastique en plus.

Le peuple a toujours été là pour nous nourrir. Ainsi ou autrement, quelle différence ?

En choisissant de mettre en scène la belle héroïne Élise de Montargis aux côtés de Joseph Guillotin, médecin et inventeur de l'engin du même nom, les scénaristes semblent avoir fait le choix d'effacer la Terreur dans ce qu'elle a de plus symbolique, les nobles contaminés étant décapités à l'épée, comme dans tout film d'horreur qui se respecte. On retient au moins le lieu commun révolutionnaire que toute tête à perruque se doit d'être séparée de son corps, mais l'on aperçoit une guillotine dans la séquence d'introduction du premier épisode : un moyen d'anticiper sur la radicalisation des antagonistes dans les saisons futures, les nobles malades n'étant plus considérés que comme des monstres à abattre. Dès le premier épisode, la violence « révolutionnaire » est donc du côté des aristocrates, qui s'y adonnent face à des innocents contraints de se défendre. Le virus, « parasite » contaminant la classe dominante et transformant la violence sociale en violence physique, agit comme une métaphore : le vrai parasite, ce n'est pas la maladie, ce sont les nobles. Qu'ils exploitent les fruits du travail de vassaux ou qu'ils les mangent, quelle différence ? « Le peuple a toujours été là pour nous nourrir. Ainsi ou autrement, quelle différence ? », assène ainsi le glaçant comte de Montargis dans l'épisode 4…

Lire aussi 14 Juillet : 5 idées reçues sur la fête nationale

Rumeur

Si elle tourne donc le dos à la vraisemblance historique, la série concrétise involontairement les rumeurs qui émaillèrent la Révolution, à commencer par le « pacte de famine » des nantis cherchant à affamer les pauvres, non pour s'enrichir en spéculant sur les grains, mais pour le plaisir de les voir souffrir. Avec ce fameux virus du « sang bleu » poussant les nobles à attaquer le peuple, on retrouve le fantasme d'un Louis XVI ou d'une Marie-Antoinette chefs d'une faction aristocratique, se repaissant dans le sang des patriotes et complotant le massacre de leur propre peuple, que l'on peut lire dans les journaux favoris des sans-culottes comme Le Père Duchesne, où le surnaturel n'était pas absent. La Révolution est réduite à sa plus simple expression : la lutte à mort entre deux classes. Disparaissent les événements fondateurs, la refondation de l'État et la réorganisation de la société, les épisodes de guerre civile, l'émigration massive des nobles et la guerre qui oppose la France à l'Europe dès 1792. Passe aussi à la trappe l'émergence d'une nouvelle classe politique, mélangeant ci-devant nobles, juristes, écrivains ou figures issues du peuple, les Mirabeau, Danton, Robespierre ou Marat, tous éclipsés par de « méchants » aristocrates. On attend de voir l'Incorruptible en sadique à la solde des nobles pour la saison 2.

En posant d'une manière délirante le problème de l'origine de la violence révolutionnaire, La Révolution peut amuser l'historien. Poussera-t-elle les spectateurs à faire la distinction entre fiction et réalité, et à lire François Furet, Patrice Gueniffey, Jean-Clément Martin, ou encore l'excellent livre d'Emmanuel de Waresquiel sur le début de la Révolution (Sept Jours, Tallandier, 2020) ? On peut en douter, tout en espérant croiser un jour ou l'autre un amateur de Netflix aux Archives nationales. Tous les chemins mènent à l'Histoire.

*Charles-Éloi Vial est historien. Son prochain livre, Napoléon : la certitude et l'ambition (Perrin-Bibliothèque nationale de France), paraîtra le 5 novembre

Shots similaires
Nouvelles archives
  • Le monde de Narnia
    Le monde de Narnia
    Le Monde de Narnia : les acteurs ont bien changé, que deviennent-ils ?
    19 Fév 2020
    2
  • Jean-Louis Etienne
    Jean-Louis Etienne
    VIDÉO. Nucléaire : "On ne peut pas faire une croix dessus du jour au lendemain", assure Jean-Louis Étienne
    1 Nov 2021
    1
  • Navid Afkari
    Navid Afkari
    Iran : le lutteur Navid Afkari, condamné pour meurtre, a été exécuté
    12 Sept 2020
    2
  • Date du confinement
    Date du confinement
    L'hypothèse d'un confinement jusqu'au 5 janvier est sur la table de l'exécutif
    29 Oct 2020
    1
  • Loi Egalim
    Loi Egalim
    Crise agricole. Loi Egalim : industriels et distributeurs dans le ...
    1 Fév 2024
    9
  • Grotte Chauvet
    Grotte Chauvet
    Ardèche : le trésor préhistorique de la grotte Chauvet
    18 Déc 2024
    3
Les shots les plus populaires de cette semaine