Kamel Daoud remporte le prix Goncourt 2024 avec Houris
Lundi, les jurés du Goncourt se sont réunis au restaurant Drouant à Paris pour annoncer le nom de leur lauréat. Kamel Daoud a remporté la plus prestigieuse récompense littéraire au premier tour avec six voix.
Kamel Daoud ou Gaël Faye ? Il y a quelques jours encore, il semblait admis, d'après des rumeurs persistantes, que la finale du Goncourt allait se jouer entre les deux auteurs, succès critiques et publics. Plus personne n'évoquait les noms de Sandrine Collette et de Hélène Gaudy, pourtant encore en lice. L'un ou l'autre allait forcément remporter le prix. Une question demeurait : lequel des deux ?
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À 12h45, Philippe Claudel du Goncourt, est apparu en haut de l'escalier conduisant du rez-de-chaussée au salon Goncourt situé au premier étage pour prendre la parole. « Le 122e prix Goncourt a été accordé au premier tour, à Kamel Daoud pour Houris chez Gallimard. »
A 12h53, Kamel Daoud a publié un message en hommage à ses parents sur X: «C'est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n'existe pour dire le vrai merci».
En ayant choisi de sacrer Kamel Daoud, le jury a d'abord fait un acte de courage politique. Rappelons-les faits : l'Algérie a décidé d'interdire le Salon international du livre d'Alger aux éditions Gallimard en raison du roman de l'auteur. Dans Houris , Aube, une survivante de la décennie noire (1991-2002) en Algérie, enceinte et mutilée, raconte à la petite fille qu'elle attend, le tragique récit de ces années de sang. Ardent défenseur de la liberté d’expression, Atiq Rahimi avait alors écrit une lettre ouverte, apportant son soutien à l’auteur. Or, en lui décernant le Goncourt, le jury a affirmé de la même façon, et sans faille, la liberté totale de l'écrivain. Un écrivain qui a l'habitude de déranger.
Le journalisme est essentiel mais il ne suffira jamais à raconter une guerre.
Kamel Daoud
Chroniqueur et journaliste, Kamel Daoud est né en 1970 à Mostaganem, en Algérie. Personnage « balzacien », selon ses mots, il est à 20 ans dans les années 1990, un villageois qui finit ses études et arrive en ville. Très tôt, il décide de se lancer dans le journalisme, intègre le Quotidien d’Oran et enquête sur les massacres commis dans son pays. Malgré les insomnies, l’innommable qui s’imprime sur la rétine, Daoud écrit, rédige, témoigne. « Le journalisme est essentiel mais il ne suffira jamais à raconter une guerre. Je dis souvent qu'une blessure, ça se mesure par le journalisme, et que ça se raconte par la littérature », a-t-il confié au Madame Figaro . À l’aube des années 2000, il commence à publier et à se faire remarquer en tant qu’auteur. Relevons: Minotaure 504 (2011), sélectionné pour le prix Goncourt de la nouvelle et notamment son roman Meursault, contre-enquête (Gallimard, 2014). Cette publication lui valut d’être visé par une fatwa alors qu'il était finaliste du Goncourt – il rata de peu le prix et remporta finalement le Goncourt du premier roman.
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Dimanche, Kamel Daoud a partagé sur X la photo d’une étudiante iranienne, Ahou Daryaei, dévêtue devant son université à Téhéran. Avec Houris, (qui signifie « femme très belle promise par le Coran aux Musulmans fidèles qui accéderont au paradis »), Daoud savait qu'il gênerait en dénonçant l’amnésie des actes barbares commis par les islamistes. Ses propos sont incisifs et implacables. Il a d'ailleurs choisi de mettre en exergue de son livre l'article 46 de la loi instaurée par les autorités algériennes baptisée « Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005 », punissant « d'un emprisonnement de trois à cinq ans et d'une amende de 250 000 dinars algériens à 500 000 dinars algériens quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'État, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international (...) » Toutefois, si Houris est un cri de dénonciation, l’auteur s’est défendu à L’Obs, « d’écrire une guerre, mais comment on en sort. C'est pour cela que j'ai appelé mon personnage Aube; c'est l'heure difficile, entre deux mondes, où cohabitent le soleil et la nuit, mais où les choses recommencent. »
Le choix était donc loin d'être facile face à un Gaël Faye, éminemment sympathique et populaire (il a déjà vendu plus de 173 000 exemplaires de Jacaranda). En outre, il a fallu départager deux livres portant sur des massacres (Houris on l'a dit, évoque la guerre civile des années 1990 en Algérie, Jacaranda , l'après génocide rwandais) ou du moins ses rescapés. Avec Daoud, les jurés ont sans doute été touchés par cette langue incantatoire, ces mots à feu et à sang, « un long chant polyphonique », comme l'a relevé Le Figaro littéraire dans son numéro du 5 septembre. « Le rythme est varié, le propos foisonnant, désordonné, fait de bribes, comme une conversation, avec des confidences, des digressions et des éclats de voix. […] Le livre de Daoud a la force d'un oued en crue après un terrible orage nommé guerre civile. Impétueux, imprévisible, fascinant, il emporte tout sur son passage. »
Gallimard sauve sa rentrée littéraire
Enfin, et ce n'est pas rien, en sacrant Daoud, le Goncourt a sacré Gallimard. Et on peut le dire, la maison a eu chaud. D'abord, parce que contrairement aux années précédentes où elle avait pu se consoler avec le Grand prix de l'Académie française (Giuliano da Empoli en 2022 et Dominique Barbéris en 2023), elle n'avait jusque-là obtenu aucun prix de la rentrée littéraire. Ensuite, parce que durant deux années consécutives, elle a été battue en finale : en 2022, Giuliano da Empoli s'inclinait devant Brigitte Giraud (Vivre vite, Flammarion), et en 2023, c'était au tour d'Éric Reinhardt de s'avouer vaincu face à Jean-Baptiste Andrea (Veiller sur elle, L'Iconoclaste).
Cela étant dit, Gallimard avait tout de même de très grandes chances de remporter le prix. Alors qu'elle comptait déjà quatre auteurs du Goncourt, publiés au sein dans sa maison, elle accueillait en avril dernier une nouvelle jurée avec Françoise Chandernagor. Pour rappel, le jury compte dix membres. En outre, contrairement à Grasset qui n'a pas remporté le Goncourt depuis 2005, Gallimard, elle l'a obtenu il y a à peine quatre ans. Et qui plus est avec Hervé Le Tellier, qui est devenu le deuxième Goncourt le plus vendu de l'histoire.