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Violences conjugales Judith Chemla : « J'ai accepté l'inacceptable »

Violences conjugales Judith Chemla   Jai accepté linacceptable
Brillante actrice et chanteuse délicate, l’artiste livre aujourd’hui un récit bouleversant sur son histoire. Ou comment briser les chaînes invisibles des violences conjugales. Rencontre.

Elle s’en serait bien passée, de cette notoriété-là, née d’une photo d’elle postée sur les réseaux sociaux en juillet 2022, le visage tuméfié. Populaire, elle l’était déjà, cette comédienne si gracieuse, passée par la Comédie-Française, héroïne de « Camille redouble », de Noémie Lvovsky, et du « Sens de la fête », d’Olivier Nakache et Éric Toledano. « Mais j’étais en ruine, je ne savais plus quoi faire », confie-t-elle aujourd’hui. Portée par un formidable élan de solidarité, par un chœur de femmes sœurs, elle a écrit un livre bouleversant, intense, intelligent, « Notre silence nous a laissées seules » (éd. Robert Laffont). Elle y raconte les violences qui auraient été perpétrées par les pères de ses deux enfants. Elle ne les nomme jamais, elle ne réclame pas vengeance, elle confie comment on peut endurer tant de souffrances. Elle décrit la vie avec celui qu’elle appelle « le prince », artiste célèbre et père de son fils aîné, dont elle raconte avoir rapidement découvert une face noire. Puis sa relation avec le père de sa fille, « le loup », un acteur et metteur en scène condamné pour violences et harcèlement à son égard. Le récit, lumineux malgré les coups et les pleurs, questionne les mécanismes d’asservissement d’une femme engluée dans deux relations toxiques. Il entame et il éclaire. C’est avec douceur et dignité que Judith Chemla en parle, pour elle, et pour nous toutes.

ELLE. Qu’est-ce qui vous a décidée à écrire ?

Judith Chemla. Après ma prise de parole sur France Inter, j’ai été contactée par l’éditrice Sophie Charnavel, qui m’a proposé l’idée d’un livre. La peur de m’exposer aussi intimement m’a retenue quelques mois. C’est la conscience d’une injustice systémique qui m’a poussée à sortir de l’ombre.

ELLE. Écrire vous a-t-il soulagée ?

J.C. Cela m’a enfin permis de m’emparer de la réalité. C’est un élan vital parce que ce que j’ai enduré me tuait de l’intérieur. Tant que je l’acceptais, cela me dévorait. Ce livre est l’histoire d’un réveil. Il m’a fallu beaucoup d’épreuves pour me sortir du sommeil, du déni, maintenant il me faut agir. Écrire mon histoire, c’est faire ma part pour que la société aussi se réveille. C’est retrouver mes forces pour tenter de remettre le monde à l’endroit.

ELLE. Vous détestez l’idée d’être une victime ?

J.C. On a autre chose à faire dans la vie que d’avoir cette image de victime. Je suis une artiste, j’ai plein de choses à chanter, à créer, à inventer. Tout cela ne nous sert pas, ce n’est pas joli-joli... Nous sommes dans un système qui déteste les victimes. C’est bien plus jouissif d’être du côté de celui qui a le pouvoir que du côté de celle qui a été souillée, anéantie. Il m’a fallu des années pour comprendre que ce que je vivais était intolérable, et lorsque j’ai voulu sortir de ce rôle de victime consentante, on m’y a renvoyée, on m’a reproché de m’y complaire. En réalité, elle ne m’intéresse pas plus que ça, mon histoire personnelle...

ELLE. Justement, cette histoire, c’est celle d’une jeune femme qui tombe amoureuse d’un artiste chez qui elle voit vite une face sombre. Pourquoi restez-vous ?

J.C. Je vois chez lui un magnétisme dévorateur, je sens qu’il vaudrait mieux que je ne tombe pas amoureuse, mais il est tout ce dont je peux rêver. Génial, merveilleux, très beau, sa créativité est immense, il met en œuvre tout ce à quoi j’aspire. Il y a ainsi des êtres que l’on voudrait sauver de leurs enfers. Mais on ne peut pas.

J’ai accepté l’inacceptable

ELLE. Vous l’idéalisez ?

J.C. J’ai confiance dans la vie. Je crois que la lumière va gagner. On a du mal à comprendre que certains préfèrent rester dans le pouvoir plutôt que d’aller vers l’amour.

ELLE. Qu’est-ce qui vous fait tenir dans ce que vous appelez un « cercle infernal » ?

J.C. J’étais comme anesthésiée, coupée de mes sens. Il a fallu que la trace de la violence m’arrive sur le visage par le coup d’un autre homme, être encore violentée plus visi- blement, pour comprendre que j’étais inféodée à un système qui protège la violence. Mais je n’ai jamais cédé au désespoir. Sans doute aurais-je dû être plus désespérée...

ELLE. Vous écrivez que vous vous en voulez d’avoir été aussi endurante...

J.C. Parce que ma nature confiante m’a emmenée au-delà des limites tolérables, mais je ne m’en sens pas coupable. J’étais prisonnière d’une chaîne d’acceptation de violences physiques et psychologiques. Il y a cette phrase de Gisèle Halimi qui, quand je l’ai lue, a amorcé mon réveil : « Ne laissez pas passer un geste, un mot, une action qui portent atteinte à votre dignité, à la vôtre et à celle de toutes les femmes. » J’ai accepté l’inacceptable. Je suis désolée d’avoir toléré tout ça.

ELLE. Alors que vous connaissez son passé, vous allez quand même vers « le loup »...

J.C. C’est vrai, c’est fou. Mais certains sont si forts pour faire passer les autres femmes pour folles... Et puis je lui donne une chance... Je me dis, c’est bon, il a compris, il a payé. Mais non, ce n’est pas bon, on ne change pas comme ça. Il faut une détermination inouïe pour se sortir du moule de la violence et de ses réflexes de cruauté.

ELLE. Vous êtes ensemble depuis un mois et vous tombez enceinte, n’avez-vous pas douté ?

J.C. Je suis amputée du sens du danger. Je m’aveugle dans ce besoin d’y croire. Pourtant, certains m’alertent, mais leurs mots glissent sur moi. Je comprendrai trop tard que je ne suis pas réparée de cette première relation violente, j’y vais, comme une bonne victime, capable d’encaisser. Déniant la gravité d’avoir vu sa dignité piétinée.

ELLE. Quand dites-vous stop ?

J.C. Je me suis séparée du père de ma fille après le coup qu’il m’a porté au visage. Là, j’ai été obligée de me regarder dans le miroir, et la réalité m’a enfin fait réagir. Pourtant, même si j’avais décidé de le quitter, il a fallu que j’apprenne qu’il avait menacé, quelques semaines plus tôt, une autre femme – avec qui il entretenait une liaison – de détruire sa vie, il m’a fallu comprendre qu’une autre femme était en danger pour trouver en moi la volonté de le mettre hors d’état de nuire et me résoudre à porter plainte pour violences.

ELLE. Poster la photo de votre visage, c’était pour être enfin entendue ?

J.C. J’ai explosé dans la sphère publique parce que j’étais écrasée dans la sphère privée, et que mes demandes d’avoir la paix étaient réduites à néant. Que faire face à un homme dont je comprenais qu’il n’allait jamais me lâcher. Je n’aurais jamais pensé révéler des choses aussi intimes. J’ai attendu d’être en ruine pour dire : ça suffit. J’ai pris la parole publiquement parce que je ne voyais plus rien d’autre à faire.

ELLE. Ce livre, l’avez-vous aussi écrit pour vos enfants ?

J.C. Je sais que ce qu’on ne règle pas soi-même se répercute sur les générations futures. J’ai l’espoir, en déposant mon histoire dans ce livre, d’y enfermer sa nocivité et de couper là la chaîne des violences. Qu’ils soient libres d’inventer leur vie et de nouveaux rapports au monde.

« Notre silence nous a laissées seules », de Judith Chemla (éd. Robert Laffont).

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