Ni médiocre, ni excellent : en conférence de presse, Joe Biden n ...
De notre correspondante à Washington – Ne pas rater, est-ce réussir ? Le président américain Joe Biden a livré jeudi soir une performance relativement maîtrisée, malgré de gros lapsus, lors d'une conférence de presse très attendue. Mais alors que les appels au retrait de sa candidature à un second mandat se multiplient, son refus de se confronter aux profondes interrogations sur son état de santé physique et mentale risque fort de ne pas satisfaire son camp.
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Est-il déjà trop tard ? Joe Biden s’est efforcé, lors d’une conférence de presse très attendue jeudi 11 juillet à l’issue du sommet de l’Otan, de rassurer son camp démocrate sur sa candidature à la présidentielle. Il a réaffirmé qu’il restait engagé dans la course à la Maison Blanche face Donald Trump. Mais s’il a évité, après son débat face à Joe Biden, une nouvelle catastrophe, il est peu probable qu’il ait mis fin aux sérieux doutes de ceux qui l’appellent à se retirer.
Sur la forme, tout d’abord : Joe Biden a fait du Joe Biden. Le président américain, handicapé par un bégaiement depuis son enfance, n’a jamais été un excellent orateur. Il hésite, se racle la gorge, s’arrête parfois abruptement pour changer de sujet, et commet des lapsus. Plusieurs lapsus.
Le premier, très remarqué jeudi soir, est intervenu avant même sa conférence de presse, lorsqu’il a présenté, en présence des leaders de l’Otan, le président ukrainien comme "Vladimir Poutine". Il s’est repris aussitôt, mais le mal était fait. Volodymyr Zelensky, bon joueur, a mis fin à ce moment de gêne par une petite boutade : "Je suis meilleur que lui."
Deux heures plus tard, dès la première question posée lors de cet exercice périlleux, la langue de Joe Biden a fourché une nouvelle fois : "Je n’aurais pas choisi la vice-présidente Trump si je ne pensais pas qu’elle était qualifiée", a-t-il lancé. Les téléspectateurs l’auront compris, il parlait bien de Kamala Harris, sa colistière qui pourrait le remplacer sur le ticket présidentiel s’il mettait fin à sa candidature.
"Finir le travail"
À ce sujet, le chef de l’État a réitéré sa position, restée la même durant ces deux longues semaines : "Je pense que je suis la personne la plus qualifiée pour se présenter à la présidence", a-t-il assuré. "Je ne fais pas ça pour (préserver) mon legs. Je le fais pour finir le travail que j’ai commencé." Un peu plus tard, il reconnaissait toutefois : "Je suis déterminé à être candidat, mais je pense qu’il est important d’apaiser les peurs."
Selon lui, c’est en se frottant au terrain, à force de meetings, de réunions et de conférences de presse comme celle-ci, qu’il montrera au public qu’il est apte à exercer un mandat supplémentaire. Force est de constater qu’il a eu l’occasion, durant son échange avec les journalistes jeudi soir, de montrer sa maîtrise des sujets internationaux, de la guerre en Ukraine à celle de Gaza en passant par les relations sino-américaines. Joe Biden est visiblement plus à l’aise lorsqu’il a le temps de développer ses réponses, comparé au format stressant de 60 secondes imposé lors du débat. Si bien que malgré ses lapsus et ses difficultés d’élocution, il a livré une performance dans la moyenne de celles qu’on lui connaissait auparavant.
Mais ce débat, justement, a tout changé. Il a mis en lumière non seulement une "nuit difficile", comme il l’a qualifiée, mais des inquiétudes plus profondes quant à l’aptitude physique et mentale du président de 81 ans. Et jeudi soir, c’est là-dessus qu’il devait rassurer. Or sur le fond, Joe Biden n’a jamais donné de réponse satisfaisante aux multiples questions posées.
"Ralentir un peu la cadence"
"Ce n'est pas vrai", a-t-il lancé au journaliste qui rapportait la rumeur selon laquelle il avait besoin de se coucher à 20 h. Avant d’ajouter : "Au lieu de commencer ma journée à 7 h et de me coucher à minuit, il serait plus intelligent pour moi de ralentir un peu la cadence." Et de promettre, en souriant, que cette fois il ne voyagerait pas sur différents fuseaux horaires avant son prochain débat - une des principales excuses données par son camp après sa performance désastreuse face à Trump. "J’adore mes équipes mais elles ajoutent des choses à mon emploi du temps tout le temps", a-t-il renchéri d’un ton blagueur, cherchant en vain la connivence avec les journalistes.
Cette séquence embarrassante devrait non seulement ne pas rassurer ceux qui doutent de lui, mais les mettre davantage en colère. Le chef de la première puissance mondiale ne peut tout simplement pas se permettre de se plaindre de son rythme de travail effréné. Il est par nature inscrit dans sa fiche de poste. Et s’il doit déjà se ménager aujourd’hui, qu’en sera-t-il dans quatre ans ?
Joe Biden a aussi botté en touche face aux questions sur l’opportunité de passer un test cognitif. "J’ai eu trois examens neurologiques intenses et conséquents" menés par un neurologue, le dernier "en février", a-t-il rappelé, et "ils disent que je suis en bonne forme". Les témoignages directs se multiplient pourtant ces derniers jours pour affirmer que la capacité cognitive du président s’est visiblement dégradée. Le dernier en date, celui de George Clooney, avait remis mercredi une pièce dans une machine désormais bien huilée.
Les prochains jours seront décisifs
Une quinzaine d’élus de la Chambre des représentants et un sénateur ont déjà publiquement appelé Joe Biden à se retirer. Selon les médias américains, de nombreux autres devraient en faire autant dans les prochains jours. Nancy Pelosi, l’ancienne speaker restée extrêmement influente au sein des démocrates, leur aurait demandé d’attendre que le sommet de l’Otan soit terminé.
Les tensions ont même atteint la Maison Blanche où les fuites - chose inhabituelle dans cette administration - se multiplient : certains membres des équipes de Joe Biden, à bout, reconnaissent en privé qu’il sera désormais impossible de gagner cette élection. Les sondages, qui n'étaient déjà pas bons avant le débat, montrent en effet une chute de Joe Biden face son rival. Selon une étude Ipsos diffusée jeudi par le Washington Post et ABC, 67 % des Américains estiment qu'il devrait retirer sa candidature. La campagne Biden a même commencé à prendre le pouls de l’opinion sur la capacité de Kamala Harris à battre Donald Trump, via des sondages en interne.
Interrogé sur sa colistière, Joe Biden n’a pas manqué d’éloges, louant notamment son travail sur la défense du droit à l’avortement. Mais s’il a répété qu’elle était effectivement "qualifiée" pour le poste de présidente, il a estimé l’être encore plus. Et de brandir l'argument logistique : "Il y a d’autres gens qui pourraient aussi battre Trump mais c’est terriblement difficile de partir de zéro", a-t-il lancé.
Pour beaucoup d'analystes, le calcul est pourtant déjà fait : mieux vaut tenter de sauver la maison démocrate à l'aide d'un nouveau candidat que de se diriger les yeux fermés vers une défaite annoncée. Que cela plaise ou non à Joe Biden, les prochains jours devraient être décisifs.