Mort de Frédéric Mitterrand : hommage à « Frédo le Tunisien »

Sur le papier, difficile d'être plus parisien que Frédéric Mitterrand, mort jeudi 21 mars. Un diplôme de Sciences Po pour bagages, le cinéma aura été sa colonne vertébrale dans cette ville où se projettent, chaque jour, le plus grand nombre de films au monde. Le 7e art est un dieu qu'il aura servi par de multiples canaux : à la télévision (Étoiles et toiles) ; en réalisant des films (Lettres d'amour en Somalie, Madame Butterfly, film opéra produit par Daniel Toscan du Plantier) ; en produisant (Avril brisé) ; en perdant des millions avec sa dizaine de salles de cinéma créées à Paris. Il participe à des commissions du CNC avant de caler sa carrure dans le fauteuil jadis occupé par André Malraux à la tête du ministère de la Culture. Son tonton était président, quatorze années à l'Élysée pour François Mitterrand, mais c'est un homme de droite, Nicolas Sarkozy, qui le propulsera Rue de Valois. Culture, politique, mondanités : il était un Parisien au carrefour des ambitions.

Et pourtant, en 1995, Frédéric Mitterrand obtient la nationalité tunisienne. Elle lui est accordée par la dictature Ben Ali après qu'il a été le commissaire général de la saison Tunisie en France. Il avait présenté ses « regrets » peu après l'aboutissement de la révolution du 14 janvier 2011.

Une maison à Hammamet

La Tunisie, il est tombé petit dedans. « C'est avec ma mère que je suis venu pour la première fois », écrit-il en 2007. Mère et fils résident à Hammamet dans « la maison de Leïla Menchari », une créatrice œuvrant notamment pour Hermès. Il ne quittera plus le pays et cette ville, un St-Trop huppé, destination prisée pour les week-ends. Sur les remparts de la Médina, un barrage charmant sur la Méditerranée, l'homme y possédait une jolie maison. Si ses murs pouvaient témoigner, ils seraient les greffiers d'une nouba à base d'artistes et de politiques.

Dans les délégations françaises venant à Tunis, il faisait systématiquement partie des habitués. En 2008, le président Sarkozy l'enrégimente dans le chantier du sommet de l'Union pour la Méditerranée. Quel que soit le pouvoir, Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande, il est « le Tunisien de service » selon ses mots. En 2015, il accompagne Valérie Pécresse, Georges Fenech ou encore Christophe Girard venus soutenir la démocratie naissante et le président Béji Caïd Essebsi. Depuis un angle d'un salon du palais de Carthage, il observe l'essaim politique avec l'œil goguenard de celui à qui on ne l'a fait pas. Il dirigera le Fonds Sud qui a pour objectif de soutenir la diversité cinématographique du monde. Une de ses fidèles, la productrice tunisienne Dora Bouchoucha, lui succédera.

Il disait « retrouver en Tunisie une atmosphère de solidarité et de chaleur humaine qui (lui) manquaient en France ». Il racontera avoir traversé tout le pays, seul, usant des louages, ces taxis collectifs qui ne coûtent qu'une poignée de dinars, « visitant un à un les charmants musées si bien tenus et émouvants que l'on trouve dans tous les lieux où l'Histoire est passée ».

Outre sa nationalité, le père biologique de Mathieu, son fils aîné, adoptera deux Tunisiens, Saïd et Jihed. Dans son discours d'intronisation à la tête du ministère de la Culture, il évoquera une perle rococo des années 1930 : La Maison du Maltais, avec Viviane Romance. Dans une médina de Sfax reconstituée en studio à Boulogne-Billancourt, l'actrice envoûtait son monde dans une Tunisie faite de sortilèges et de mystères. « Sur cette terre d'Afrique, on cultive le courage et l'astuce. » Bien vu. Bislema* l'artiste.

*« Salut » en langage courant