Pourquoi Édith Cresson, la première femme Première ministre, a vécu l'enfer à Matignon
L'ancienne cheffe du gouvernement de François Mitterrand a gardé de très mauvais souvenirs de son passage rue de Varenne. Coincée entre une majorité qui la soutient à peine, des accusations sexistes et des propos qui font polémique, elle n'a jamais vraiment trouvé sa place.
Élisabeth Borne, qui a été nommée à la tête du gouvernement ce lundi, est la seconde femme à accéder à Matignon depuis 1991, après Édith Cresson. L'ancienne proche de François Mitterrand a gardé un souvenir dramatique de ses dix mois rue de Varenne. BFMTV.com vous raconte son mandat express.
Plus de 30 ans après ce poste, l'octogénaire en garde toujours une certaine amertume. Elle a ainsi souhaité à sa lointaine successeure quelques heures après sa nomination "beaucoup de courage" sur BFMTV. La nouvelle Première ministre lui a de son côté adressé un hommage appuyé lors de la passation de pouvoir avec Jean Castex.
Des journalistes à genoux pour filmer ses jambesL'arrivée d'Édith Cresson à la tête du gouvernement a lieu alors que les tensions entre Michel Rochard et François Mitterrand sont à leur comble. Le chef de l'État ne supporte plus les velléités d'indépendance de son chef de gouvernement, et le poste est proposé à cette fidèle de la mitterrandie.
L'Élysée apprécie celle qui a été plusieurs fois ministre et qui est connue pour son franc-parler. Autre atout: elle n'a pas d'ambition présidentielle, contrairement à Michel Rocard ou Pierre Bérégovoy, alors ministre à Bercy. Mais dès sa nomination, le 15 mai 1991, l'ancienne députée est prise pour cible.
"Dès que j'ai été investie, j'ai été tout de suite très attaqué par les médias et par les hommes politiques, et pas seulement de droite. Quelques jours après mon arrivée, les médias se sont mis à genoux devant ma voiture pour filmer mes jambes, vous vous rendez compte? On avait même dit que j'avais des collants filés alors que j'avais des cicatrices sur les jambes", racontait en 2021 l'ex-élue sur Europe 1."Des hommes se mettent à crier 'à poil'"
Son discours de politique générale, dans la foulée, ne lui permet pas d'asseoir sa stature politique, alors qu'elle n'est quasiment pas applaudie par les députés de son parti à l'Assemblée nationale.
Il faut dire que les inimitiés sont nombreuses. Les proches de Michel Rocard ne lui pardonnent pas de ne pas avoir cité une seule fois son prédécesseur. Quant à Pierre Bérégovoy, qui se serait bien vu à Matignon, il ne décolère pas.
La presse apprend quelques semaines plus tard que le discours qu'elle avait initialement prévu de prononcer a été raturé par François Mitterrand, qui lui reprochait des "notes d'énarque".
"Ça devient vraiment dur à partir du moment où l'on occupe un poste pour lequel les hommes pensent qu'on n'est pas légitime. Et même si on est élue et réélue, on n'est pas légitime à leurs yeux. Le suffrage universel ne suffit pas et on vous le fait sentir de bien des façons. Imaginez ce que c'est que de monter à la tribune de l'Assemblée nationale et que les hommes se mettent à crier 'à poil'", avance encore l'ancienne Première ministre dans les colonnes du Point ce mardi.Des propos qui choquent
Édith Cresson multiplie aussi les maladresses. Moins d'un moins après sa nomination, elle explique par exemple lors d'une interview sur ABC News, que l'homosexualité est plus proche des "coutumes anglo-saxonnes" que des usages "latins". De quoi faire bondir François Mitterrand, qui a dépénalisé l'homosexualité dix ans plus tôt.
Dans la même interview, la Première ministre a une autre saillie malheureuse, avançant que les Français ne veulent pas la vie de "fourmis jaunes des Japonais".
De quoi donner des billes au Bêbête show, un programme satirique de marionnettes sur TF1, qui présente la locataire de Matignon comme une panthère lascive aux pieds du président.
Deux mois après son arrivée au pouvoir, la cheffe du gouvernement se consacre au sujet de l'immigration. Il faut dire que la chute du mur de Berlin change la donne et que le Front national, s'il n'est plus présent à l'Assemblée nationale, a siégé pendant deux ans au Palais-Bourbon de 1986 à 1988. Elle évoque devant des journalistes la possibilité d'affréter des avions pour expulser des personnes en situation irrégulière.
Interrogé par un journaliste qui lui demande si elle souhaite utiliser des charters, elle a la réponse suivante: "ce ne serait pas des charters. Les charters, c'est des gens qui partent en vacances avec des prix inférieurs. Là, ce ne sera pas pour des vacances et ce sera totalement gratuit". De quoi émouvoir toute une partie de la gauche.
Des affaires financières qui pourrissent son passage à MatignonÉdith Cresson fait également les frais de différents scandales politico-financiers qui sont révélés quelques temps avant son arrivée au pouvoir, comme l'affaire Urba, ou encore celle liée au sang contaminé et à la multiplication des plaintes.
Le président lui demande finalement de présenter sa démission, à peine 10 mois après son arrivée à Matignon, évoquant "les forces obscures" à l'œuvre depuis sa nomination.
C'est Pierre Bérégovoy, qui n'a eu de cesse de ronger son frein, qui est finalement nommé pour la remplacer. Il ne reste guère plus longtemps au pouvoir, ne passant qu'un mois de plus qu'Édith Cresson rue de Varenne.
Marie-Pierre Bourgeois