Donald Trump Volodymyr Zelensky : "Les Etats-Unis donnent l ...
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La volte-face aussi radicale que stupéfiante de la politique étrangère américaine fait réagir, partout dans la presse outre-Atlantique. Après des décennies d’affrontement indirect dans ce qui a souvent été appelé "nouvelle guerre froide" avec le Kremlin, les Etats-Unis de Donald Trump semblent désormais s’adresser à la Russie comme à une nation amie. Mais surtout, à l’Ukraine comme à un pays ennemi. Car du point de vue du nouveau président des Etats-Unis, Volodymyr Zelensky est en réalité un "dictateur sans élections", qui aurait dupé les Etats-Unis, et son pays est responsable de la guerre qui y fait rage.
Subitement, "les Etats-Unis donnent l’impression de vouloir changer de camp" relève le New York Times, deux jours après le lancement de négociations bilatérales et inédites entre Moscou et Washington en Arabie saoudite - les premières discussions directes entre les deux nations depuis le début de la guerre il y a trois ans - où ni l’Europe ni l’Ukraine, première concernée, n’ont été conviées. "Donald Trump est en train d’orchestrer l’une des plus stupéfiantes ruptures dans la politique étrangère américaine, un virage à 180 degrés" poursuit le célèbre quotidien.
Celui-ci remarque que la Russie a "semblé ravie" par les déclarations du président américain, et relève que "comme pour beaucoup de choses, Donald Trump va beaucoup plus loin que ses prédécesseurs en termes de vitriol public contre un allié confronté à une menace existentielle, employant le genre de langage que les présidents utilisent rarement à propos d’un prétendu ami".
"Il a convaincu les Etats-Unis de dépenser 350 milliards"
Ce qui pourrait passer pour une petite phrase outrancière, notable spécialité du nouveau président des Etats-Unis, est en réalité un discours construit. "Pensez-y, un comédien à succès modeste, Volodymyr Zelensky, a convaincu les États-Unis d’Amérique de dépenser 350 milliards de dollars, pour entrer dans une guerre qui ne pouvait pas être gagnée, qui n’a jamais eu à commencer, mais une guerre que lui, sans les États-Unis et 'TRUMP', ne pourra jamais régler", déclarait encore Donald Trump à propos du président ukrainien. En réalité, les Etats-Unis ont engagé en tout seulement 183 milliards de dollars, rappellent les calculs du Time Magazine.
Un événement récent est venu ajouter à ce grand coup de froid, selon le magazine américain. La semaine dernière, Volodymyr Zelensky a demandé à ses ministres de ne "pas signer un projet d’accord visant à donner aux États-Unis l’accès aux minéraux de terres rares de l’Ukraine", trop centré selon les Ukrainiens sur les intérêts américains, rapporte le journal. La proposition, élément clef des pourparlers de Zelensky avec Vance en marge de la Conférence de sécurité de Munich mi-février, n’offrait aucune garantie de sécurité spécifique en retour. Un choix qui aurait déclenché l’ire de Donald Trump, qui considère l’accord "rompu" par l’Ukraine.
Après des semaines à redoubler d’efforts pour maintenir la relation ukraino-américaine sous la présidence Trump, "dans l’espoir que sa promesse de mettre fin rapidement à la guerre ne signifie pas la fin de l’aide militaire américaine ou une capitulation aux conditions russes", analyse le Washington Post, "l’explosion de colère de Kiev est survenue". Mercredi, Zelensky a ainsi convoqué la presse pour répondre à son détracteur. "Le président américain vit dans un espace de désinformation. … J’aimerais que l’équipe de Trump soit davantage connectée à la vérité" a-t-il réagi. Une riposte qui a semblé renforcer sa popularité dans son pays, note le quotidien. Tandis que Donald Trump affirmait que celle-ci n’était que de 4 %, 57 % des Ukrainiens lui feraient en réalité confiance, selon un sondage de l’Institut international de sociologie de Kiev.
Soutien européen, division républicaine
Mais "derrière cette guerre des mots", note le journal, "se cache une inquiétude croissante" chez les alliés européens des Etats-Unis, entièrement exclus du processus, qui commencent "à exprimer publiquement leur consternation, voire leur indignation", note le Washington Post. Depuis deux jours, les dirigeants européens les plus influents, du chancelier allemand Olaf Scholz au Premier ministre britannique Keith Starmer, jusqu’à Emmanuel Macron, critiquent haut et fort les affirmations "fausses et dangereuses" de Donald Trump, selon les mots d’Olaf Scholz. "Nous ne comprenons pas très bien la logique américaine", a déclaré pour sa part la porte-parole de la France mercredi, après un appel du président français avec son homologue ukrainien.
Dans un autre article, le Washington Post rapporte la division des républicains américains au sujet des attaques lancées par Donald Trump en direction de Volodymyr Zelensky. Plusieurs figures fortes du parti, comme l’ancien Vice Président Mike Pence ou l’ancien conseiller en stratégie John Bolton ont ainsi vivement critiqué les propos de locataire de la Maison-Blanche, le second estimant qu’ils "comptent parmi les plus honteux jamais tenus par un président américain". Mais si certains sénateurs ont pris leurs distances vis-à-vis du président, les réactions du camp républicain "sont restées modérées, illustrant ainsi l’évolution du positionnement du Parti républicain sur l’invasion russe", relève le Washington Post.
"Personne ne s’attendait à ce que Trump gère les affaires internationales comme ses prédécesseurs"
Dans les mêmes colonnes, l’ancien responsable des relations américano-russes sous George W. Bush s’interroge. "Où veut-il en venir avec tout ça ?" demande Thomas Graham. "Je pense qu’il déforme la situation en Ukraine, et je ne sais pas ce qu’il espère en tirer. Prépare-t-il l’opinion publique américaine à accepter une capitulation face à Poutine ?", poursuit-il. Car pour justifier l’absence de l’Ukraine dans les négociations concernant son propre avenir, Donald Trump a depuis repris à son compte un argument russe, selon lequel "l’Ukraine devrait organiser de nouvelles élections avant de pouvoir participer à des négociations", note encore le New York Times. "Ça n’est pas un truc des Russes, ça vient de moi et de beaucoup d’autres pays", s’est défendu Donald Trump.
Très concrètement, ce virage à 180 degrés fait craindre aux pays de l’Otan, en particulier ceux de l’Est, un désengagement total des Etats-Unis et un retrait des troupes américaines du continent, qui participaient à contenir jusqu’ici toute avancée russe.
En seulement quatre semaines, Donald Trump a fait du pays "un allié moins fiable" cingle le Wall Street Journal, qui note que le président a retiré les Etats-Unis de ses engagements mondiaux "d’une manière qui pourrait profondément remodeler la relation de l’Amérique avec le reste du monde". "Personne ne s’attendait à ce que Trump gère les affaires internationales comme ses prédécesseurs. Mais rares étaient ceux qui s’attendaient à ce qu’il réoriente aussi rapidement la politique étrangère américaine, en s’éloignant de la voie qu’elle suit depuis 1945", poursuit le journal. "Il sera très difficile d’annuler ce qui est en train d’être fait en politique étrangère ou de convaincre les alliés que cela ne se reproduira plus", commente dans ses pages Richard Haass, président émérite du Council on Foreign Relations et ancien haut responsable des administrations républicaines.
Dans le Washington Post, un ancien responsable de la première administration Trump, qui s’exprime sous couvert d’anonymat, conclut quant à lui : "Trump ne voit aucun enjeu global dans cette guerre et il s’en fiche. Il reprend tous les éléments de langage de Poutine parce qu’il pense exactement comme lui […] Et maintenant que Zelensky l’a critiqué, il va essayer de s’en débarrasser".