Les Fêtes de Bayonne, rassemblement géant au funeste bilan
Le rendez-vous annuel, qui a atteint cet été une fréquentation record de 1,3 million de personnes, courait du 26 au 30 juillet. Mais il continue de faire couler de l’encre pour son bilan 2023 particulièrement sombre: outre une flambée de cas de Covid-19 chez les participants, plus de 900 plaintes ont été déposées en cinq jours – le double de l’an dernier – dont de nombreuses pour vols de téléphone, et quatre pour viols «survenus sur la voie publique ou dans des appartements». Une cinquième enquête pour viol et agression sexuelle sur deux mineures était confiée vendredi à la police judiciaire de Bayonne Résultat, des «fêtes souillées par des actes d’une insupportable violence», a déploré Michaëlla Clapisson, présidente du groupement des peñas bayonnaises (associations festives).
Chorales et électro
On est effectivement loin de l’esprit mêlant joie de vivre et tradition à l’origine des Baionako Bestak, de leur nom basque, fêtes populaires parmi les plus courues d’Europe – à l’histoire presque centenaire. C’est en 1932 qu’un groupe d’amis de la section rugby de l’Aviron bayonnais, inspirés par les fêtes de San Fermin à Pampelune, en Espagne, proposent de lancer un raout similaire à Bayonne. Soutenus par le maire de l’époque, l’évènement s’installe dans la région et s’invente ses légendes: un costume réglementaire, blanc avec foulard rouge – inspiré par les cousins de Pampelune, où il symbolise le sang du martyr San Firmin – et un Saint-patron, le roi Léon. Une marionnette géante inspirée par une figure de la vie locale (Léon Dachary, un chanteur lyrique et vendeur d’imperméables), toisant la foule depuis le balcon de l’hôtel de ville. Il a même sa chanson depuis les années 2000.
Le reste est un joyeux mélange de folklore basco-gascon et de kermesse disco débridée: courses de vachettes et corridas (Bayonne est la plus ancienne ville taurine de France), corsos lumineux, paquito (sorte de crowdsurfing organisé), bandas (formations musicales locales) et chorales sur fonds d’électro diffusée par les bars. Dix coups de carillons sonnent le début des festivités, sous l’œil bienveillant de célébrités (Johnny Hallyday, Luis Mariano, Jean-Jacques Goldman ou Vincent Cassel) tandis que les «festayres» nouent leur foulard autour du cou – jamais avant! Durant cinq jours, cette ville des Pyrénées-Atlantiques se transforme en capitale de la fiesta.
Des fêtes «alternatives»
Inscrit depuis 2010 à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français en 2010, le rendez-vous n’a cessé de prendre de l’ampleur. Aujourd’hui, les Fêtes de Bayonne rassemblent l’équivalent de quatre fois la capacité du Paléo, de cinq Burning Man ou d’un septième de la population suisse dans une ville dont la population ne dépasse habituellement pas celle de Neuchâtel. Avec, comme pour de nombreuses autres grandes manifestations, son lot de mutations et de questionnements. L’accès est récemment devenu payant pour les non-résidents (12 euros) et les réglementations en terme de bruit se sont durcies. Surtout, certains locaux déplorent que l’âme du festival se soit perdue en route.
Au point où certains, s’opposant à un modèle jugé démesuré, uniforme et consumériste, organisent des fêtes «alternatives» dans les rues du quartier populaire du Petit Bayonne, sous la bannière de valeurs écologiques, féministes et solidaires. «A Bayonne, le mot d’ordre, c’est un peu «viens faire ici ce que tu ne ferais pas ailleurs», et on ne le supporte pas», expliquait récemment le porte-parole du collectif à [Libération](https://www.liberation.fr/societe/a-bayonne-une-alternative-a-des-fetes-devenues-totalement-demesurees-et-insoutenables-20230727WQ74BE7XTVDMXBUIQQPCQPI6XI/?redirected=1)._ Au cœur de leur démarche également, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, avec slogans, autocollants et protocole pour la prise en charge des victimes.
Depuis l’attentat de Nice en 2016, le dispositif de sécurité s’est vu renforcé et un large travail de prévention des agressions sexuelles a été mis en place par des associations et la municipalité. Mais ça n’a pas empêché les dérapages de se multiplier: le nombre de plaintes n’a fait qu’augmenter ces dernières années. En 2022, après deux ans d’interruption pandémique, les Fêtes reprenaient de plus belle, tout comme les agressions – un viol en réunion, plusieurs actes de violences dont un coup de couteau, et onze plaintes pour piqûres sauvages. Fatalité des grands rassemblements (alcoolisés), ou concept à revisiter? Le drame de cette édition et son onde de choc pourraient provoquer une remise en question plus large à Bayonne.