Collège et librairie fermés, plus d'abattoir pour l'Aïd, le malaise s ...
Depuis plusieurs mois, la communauté musulmane de Nice est bousculée par les discours politiques et les pressions de l'administration. Ce dimanche marque la fête de l'Aïd, une fête compliquée à organiser car il n'y a plus d'abattoir dans les Alpes-Maritimes.
L'Aïd el-Kébir célébrée ce dimanche a un goût amer. Pour les 20.000 musulmans de Nice, impossible de procéder à l'abattage rituel dans les Alpes-Maritimes. Le dernier site agréé dans le département pour le sacrifice a été épinglé par la justice. Plus de 600 ovins et 45 bovins y ont été saisis fin mai. Par comparaison, cinq sites sont agréés dans le Var voisin. Résultat : à Nice, beaucoup de familles se sont résolues à envoyer l'argent du sacrifice à l'étranger.
Ceux qui le peuvent sont allés dans le département voisin, à plus de 60 kilomètres, soit une heure de route, pour abattre le mouton comme le veut la tradition. Certaines familles se sont résolues à envoyer l'argent du sacrifice à l'étranger.
Une communauté bousculée ces derniers mois par les discours politiques et les pressions incessantes de l'administration."On dirait qu'on n'est pas des citoyens à part entière", explique l'imam Otmane Aissaoui, président de l'Union des musulmans des Alpes-Maritimes (Umam), dénonçant "des actes islamophobes" dans les lycées ou les universités, "les femmes avec le foulard vues d'un mauvais œil, les contrôles inopinés dans les mosquées... On le sent plus ici qu'ailleurs."
Le malaise n'est pas nouveau. L'islam a régulièrement été un thème de campagne politique localement. Les attentats du 14 juillet 2016 dont le procès s'est tenu à Paris et à Nice via une salle de retransmission, puis la basilique Notre-Dame en 2020 ont provoqué des réactions de haine qui ont visé jusqu'aux proches des musulmans tués sur la Promenade des Anglais. Avec l'arrivée en septembre du préfet Hugues Moutouh, puis les contrecoups de l'attaque du Hamas le 7 octobre et de la riposte israélienne dans la bande de Gaza, la situation s'est tendue.
Alors que le maire Christian Estrosi (Horizons) faisait flotter le drapeau israélien sur le fronton de la mairie, le préfet a interdit les manifestations pro palestiniennes, faisant valoir que le département était "dans le trio de tête" en matière d'actes antisémites.
Mais ces interdictions ont été retoquées à chaque fois par le tribunal administratif. Elles n'ont cessé qu'en janvier.
Puis, en février, le préfet des Alpes-Maritimes a ordonné la fermeture temporaire d'une petite librairie musulmane, fustigeant la présence de livres fondamentalistes. Un arrêté lui aussi retoqué par le tribunal administratif. Car les livres incriminés sont aussi en vente dans des librairies grand public.
Évoquant une grande incompréhension, la gérante a invité le préfet à boire le thé dans sa boutique, où elle vend depuis deux décennies foulards, abayas, tapis de prières et livres sur la spiritualité. Mais elle n'a jamais reçu de réponse du préfet, qui s'était fait connaître dans son poste précédent dans l'Hérault par un arrêté interdisant aux manifestants les "dispositifs sonores portatifs", c'est-à-dire les casseroles.
L'absence de dialogue a aussi dominé la crise autour du collège Avicenne, un établissement musulman hors contrat accueillant une centaine d'élèves dans le quartier sensible de l'Ariane, dont le préfet a ordonné la fermeture en mars, à la demande du ministère de l'Education nationale.
La qualité de l'enseignement n'était pas en cause, d'autant que les élèves brillent au brevet puis dans les lycées publics. Mais Avicenne a tâtonné pour répondre aux exigences de la loi contre le séparatisme en matière de transparence sur l'origine de ses financements.
Là aussi, le tribunal administratif a estimé en référé que les erreurs relevées dans la comptabilité de l'établissement ne justifiaient pas la fermeture, en des termes laissant peu de suspense quant à la décision sur le fond, attendue fin juin.
Paradoxalement, le collège a vu ses candidatures doubler et va créer une classe supplémentaire en septembre. Mais son directeur, Idir Arab, garde "un sentiment d'injustice" et "d'acharnement". Il s'insurge : "Vous avez un petit projet qui marche dans un quartier où tout s'effondre, pourquoi aller le fermer ?"Le collège, où les enseignants sont de toutes confessions et les tenues vestimentaires très diverses, réclame en vain depuis des années à passer sous contrat. "Ils parlent de séparatisme, mais c'est nous qui subissons ce séparatisme", regrette Idir Arab, également blessé par la condamnation sans réserve du collège par Christian Estrosi.
Dans ce contexte, la proposition du maire de Nice aux associations cultuelles de louer de nouveau la vaste salle du palais Nikaïa pour la fin du ramadan en avril dernier, moins de 48 heures avant la fête, est restée lettre morte.
Contactés par l'AFP, Christian Estrosi n'a pas donné suite et Hugues Moutouh n'a pas pu répondre en raison de la réserve électorale.
(avec AFP)